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COURS DE GÉOPOLITIQUE

6 – Géopolitique du temps et de l’espace au XXIe siècle

Avant la 2GM,
la géopolitique tournait autour
d’une « obsession territoriale »
Nicholas Spykman ouvre la
transition vers la géopolitique
« moderne », qui prend en
considération l’ensemble des
facteurs de la puissance d’un État
Mais c’est une transition
interrompue
Avant la « redécouverte »
des années 1970,
la géopolitique est généralement
déconsidérée comme doctrine des
relations internationales

Après la 2GM, les conditions de la politique internationale

ne sont pas favorables à la pensée géopolitique
Les « révisionnistes » sont écrasés
Les USA et la Russie sont devenus « conservateurs »
et se partagent le monde
L’arme atomique et les nouveaux vecteurs
ont réduit l’importance du territoire
Le droit international a réduit la souveraineté des États
La lutte internationale continue d’être géopolitique
(blocus de Berlin et guerre de Corée), mais elle est expliquée en des termes
exclusivement idéologiques

La fin de la Seconde Guerre mondiale a ouvert
une nouvelle phase des relations internationales,
caractérisée par des changements majeurs
 Nouveautés absolues : missiles balistiques,
armes nucléaires, fin du colonialisme, système de
règles internationales auquel les États sont
censément soumis, hégémonie globale d’une seule
puissance
 Nouveautés relatives : la prépondérance de

l’idéologie

Deux nouveautés bouleversent
la technologie militaire :
les missiles de croisière
(V1 et V2) et
la bombe atomique
La première amplifie le
problème géopolitique majeur
que posait déjà l’aviation :
les frontières, objet de culte de
la géopolitique « classique »,
perdent de leur importance
car elles deviennent aisément
franchissables
Missiles et fusées permettent
désormais de frapper n’importe
quel territoire, quelle que soit sa
distance du lieu de lancement


Selon une idée assez répandue,
l’arme nucléaire rendrait
obsolète la guerre entre les
grandes puissances car son
utilisation entraînerait la
MAD,
la destruction mutuelle assurée
L’objectif principal
de la compétition
internationale ne serait donc
plus la conquête ou
la défense du territoire,
mais la gestion d’un très
délicat
« équilibre de la terreur »

La deuxième grande nouveauté est la création
d’un système de « sécurité collective »
et de règles internationales
auxquels les États sont censés se soumettre


Les pays victorieux de la Seconde Guerre mondiale
s’organisent en « Nations unies »
Celles-ci se dotent de règles contraignantes
pour tous les membres présents et futurs
et d’un « gouvernement » mondial, le Conseil de sécurité,
dans lequel siègent de manière permanente
les cinq puissances victorieuses, chacune d’elles
disposant d’un droit de veto sur les résolutions du Conseil

D’autres organismes
internationaux revendiquent
une juridiction contraignante
pour les États membres,
limitant ainsi leur souveraineté :
 des structures militaires collectives
(l’OTAN, le Pacte de Varsovie)
 des organismes économiques
mondiaux (FMI, BM, GATT)
 des tribunaux internationaux ad

hoc, ou la Cour pénale
internationale
 les associations régionales (Union
européenne, ALENA, Mercosur,
Union africaine, ASEAN, Conseil
de coopération du Golfe , Ligue
arabe etc.)

Ce système d’organisations
et de règles internationales
absorbe une partie des
attributs de la souveraineté
nationale et rend les
frontières des États de plus
en plus poreuses et
perméables

La fin de la colonisation contribue
au déclin de la géopolitique « classique »
La décolonisation dément ce que la géopolitique

avait jusque là considéré comme fondamental :
il ne s’agit plus d’analyser, préconiser
et justifier la conquête de nouveaux territoires
mais, au contraire, de constater que toutes
les grandes puissances perdent de leurs territoires

Waves of colonization and decolonization (David Henige,
Colonial Governors: From the Fifteenth Century to the Present.
Madison,1970).

Toutes les grandes puissances
perdent de leurs territoires
Non seulement les puissances vaincues,
mais aussi les puissances
officiellement victorieuses :
le Royaume-Uni, la France,
les Pays-Bas et la Belgique
Les États-Unis aussi perdent du territoire
(Philippines, 1945) et montrent
qu’il n’y a pas forcément un rapport entre

perte des colonies et affaiblissement politique
La mystique de l’espace, qui avait
caractérisé la géopolitique « classique »,
perd donc lourdement de sens
dans le second après-guerre

L’affaiblissement du rôle de l’État et
de ses frontières n’a pas éliminé l’importance
du facteur « espace »

En revanche, la redéfinition des équilibres
globaux a beaucoup accru l’importance
du facteur « temps »
Développement inégal : « croissance différentielle des secteurs, des
processus géographiques, des classes et des régions aux niveaux global,
régional, national, sous-national et local »
The Encyclopaedia of Political Economy (London, 1999) p. 1199

Sous-entendu : ce rapport entre secteurs, processus
géographiques, etc. n’est significatif que si on le mesure

sur une même échelle temporelle
Banal mais vrai :
l’unité de mesure du shift of power est le temps

Puisque le développement inégal
produit « inéluctablement »
le shift of power
(P. Kennedy, p. 436)

les puissances qui veulent
conserver leur supériorité sont
engagées dans une course contre
la montre en vue d’essayer
 soit de ralentir leur déclin,
 soit d’affaiblir leurs
compétiteurs,
 soit de conquérir des positions
de force afin de négocier
avantageusement les conditions
de leur déclin,

 soit les trois à la fois

Mais le facteur « temps » est
important aussi, et peut-être surtout,
pour les puissances « révisionnistes »
Pour Bismarck « l’homme ne peut ni créer ni diriger le flux
du temps. Il peut seulement y voyager et l’orienter avec plus
ou moins de compétence et d’expérience »
Bismarck passa maître dans l’art d’« orienter » le cours du
temps : séquence accélérée des guerres pour l’unification
allemande (1864-1866-1870) vs le soin mis pour ne pas
donner l’impression de vouloir hâtivement remettre en
discussion les équilibres pré-1871
Dans les années 1980-1990, la Chine
a cherché à convaincre ses voisins et le monde entier
qu’elle était une puissance pacifique
La devise de Deng Xiaoping « faire profil bas et rester en
retrait » était le fil directeur de la diplomatie chinoise

Le facteur « espace » est à la fois

plus simple et plus complexe
Plus simple
parce qu’il suffit parfois d’une carte
géographique pour cerner les
contraintes de chaque puissance
Plus complexe
parce que la relation avec l’espace varie
selon les circonstances historiques
(temporelles)
À l’époque coloniale, pour savoir sur
quels territoires une puissance exerçait
sa domination il suffisait, encore une
fois, d’ouvrir un atlas : les couleurs des
colonies permettaient de remonter à la
métropole d’appartenance, et vice-versa

À l’époque bipolaire, la situation n’avait guère
changé, malgré la décolonisation
La « carte idéologique » du monde
montre que quatre couleurs suffisaient pour

distinguer les différentes sphères d’influence
Avec le temps, la Chine s’est ajoutée
(avec sa petite sphère d’influence)

Évidemment,
les choses n’ont jamais
été aussi simples
(et non seulement à cause de pays
problématiques, comme la Finlande, la
Yougoslavie ou l’Égypte)

L’Asie, n’ayant pas été
partagée, a fait l’objet
d’un affrontement
ininterrompu
L’Europe (France en tête)
a toujours eu du mal à
s’adapter à un ordre
bipolaire qui la reléguait en
seconde zone

Le contrôle de l’espace
conserve une importance capitale
La technique militaire permet aujourd’hui de transcender les
frontières, mais rares sont les guerres
qui ne sont pas décidées par une intervention au sol
Même quand il cède des pans de souveraineté, un État conserve
l’autorité juridique pleine et entière sur ses frontières

Depuis 1991, beaucoup de nouveaux États sont nés
de la fragmentation d’États préexistants
(Yougoslavie, Tchécoslovaquie, URSS, Soudan),
mais seule la frontière de la Crimée a été modifiée

Le nombre de territoires
contestés témoigne aussi de
l’importance de l’espace
Selon la page en anglais de Wikipedia, il
existait, en 2011, 196 zones disputées
dans le monde :
 44 en Afrique,
 94 en Asie (dont 21 concernant la
Chine et 17 l’Inde)
 27 en Europe (dont 9 concernant
l’ex-Yougoslavie)
 9 en Amérique du Nord (dont 7
entre les USA et le Canada)
 21 en Amérique centrale et
méridionale

Presque aucun des ces cas ne présente de risque politique
 Soit parce qu’il est hautement improbable que, p. ex., Canada et USA se déclarent la
guerre pour Machias Seal Island
 Soit parce que les chances d’obtenir gain de cause sont nulles, comme c’est le cas
pour Taiwan, qui déclare 23 « contentieux » ouverts : avec Pékin pour la
souveraineté sur la Chine continentale, avec Oulan-Bator pour la souveraineté sur la
Mongolie, et encore avec la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, l’Inde,
le Pakistan, la Birmanie, le Bhoutan, la Corée, le Viêt-Nam, les Philippines et le Japon

Deux (ou plusieurs) États peuvent s’affronter pour des
territoires contigus (ou des îles contestées) pour trois
raisons essentiellement
 un nouvel État national en formation,

revendiquant des territoires au-delà des frontières
existantes (p. ex. Serbie, Croatie, Arménie) ;
ou encore de vieux États se considérant lésés au cours
des vicissitudes historiques (y compris les disputes
ayant un sous-entendu territorial : Grèce et Macédoine ;
Hongrie et Slovaquie, etc.) ;

 pour le contrôle de ressources stratégiques :

bassins fluviaux, pêche et ressources naturelles en haute
mer (Israël et Jordanie pour les eaux du Jourdain ;
Turquie, Syrie et Irak pour les Tigres et Euphrate ; le
Royaume-Uni, le Danemark, l’Irlande et l’Islande pour
les eaux entourant le rocher Rockall, etc.)
 comme prétexte, ou comme marge, pour

d’éventuelles négociations ayant d’autres enjeux
que le territoire lui-même (Inde et Chine ; Russie et ses
pays frontaliers, etc.).

L’intérêt de l’Inde pour le plateau désertique de
l’Aksai Chin ou de la Chine pour les pics
enneigés de l’Arunachal Pradesh ne concerne
vraisemblablement pas le territoire en soi, mais
les rapports entre les deux puissances plus en
général

En revanche, la conquête
de la Krajina ou la souveraineté
sur le Kosovo étaient censés
garantir à la Serbie sa légitimité

En règle générale, on observe que
moins un pays est développé,
plus il insiste sur des aspirations territoriales ou
nationales (gages de sa légitimité)

Les problèmes d’espace des grandes
puissances sont de toute autre nature :
1) soit ils servent, comme nous l’avons vu,
de marges de négociation
2) soit ils sont d’ordre géostratégique
Les questions d’ordre géostratégique
sont de loin les plus importantes
Elles peuvent être divisées
en deux sous-catégories :
1) celles qui sont liées à la géographie politique
de l’État en question
2) celles qui sont liées à des régions
stratégiquement cruciales, même à des
milliers de kilomètres de l’État en question

1) Les problèmes que pose la géographie politique
d’un État (ou « contraintes géographiques »)
Du point de vue politique, il n’y a pas d’éléments
naturels favorables ou défavorables :
 un fleuve peut être une voie de communications ou une frontière infranchissable
 l’insularité a été un avantage pour la Grande-Bretagne, et un handicap pour le Japon
Il faut toujours mettre ces contraintes géographiques en relation avec l’histoire et le développement d’un pays pour qu’elles soient
réellement significatives
Il existe cependant des cas dans lesquels les obstacles naturels posent
des problèmes stratégiques majeurs :
 l’inaccessibilité aux mers navigables toute l’année pour la Russie
 la double chaîne d’îles devant les côtes chinoises

2) Les problèmes liés à des régions stratégiquement
cruciales, que ce soit pour des raisons économiques,
commerciales ou militaires
Les chokepoints (Gibraltar, Suez, le golfe d’Aden,
Hormuz, Malacca, Panamá etc.) conservent une
importance commerciale et militaire
Outre les passages maritimes, il existe aussi des passages
terrestres qui ouvrent (ou ferment) l’accès à de vastes
régions : p.ex. la passe de Khyber, mettant en relation
le plateau iranien avec les plaines de l’Indus et de Gange
D’autres régions, par leur positionnement et/ou leur importance
économique, sont des « petits heartlands » :
soit elles permettent un rayon d’action qui englobe les points
chauds des relations internationales (Afghanistan)
soit elles sont riches en matières premières, et leur contrôle
politique et militaire permet de négocier avec les
compétiteurs d’une position de force (Irak)

Il existe naturellement beaucoup
d’autres cas dans lesquels
la lutte pour le contrôle
des espaces a encore un sens,
bien que le temps
des annexions et des colonies
soit définitivement révolu
Mais aucune de ces luttes
ne serait compréhensible
si on faisait abstraction
du développement inégal
et de son produit « inéluctable » :
le shift of power