ImmigrationetEquilibredeNash AzametBerlinschi 2009
L’aide contre l’immigration
The Aid-Migration Trade-Off
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Cet article met en lumière une relation économétrique montrant que les flux d’aide donnés par
les pays donateurs réduisent significativement les flux d’immigrants qu’ils reçoivent des pays en
développement. Il déduit les implications pour la politique d’aide d’un simple modèle de théorie
des jeux, après avoir passé en revue la littérature récente sur les effets et les motivations de l’aide
étrangère aux pays en développement. Cet article participe aux efforts effectués récemment par
les économistes, stimulés par l’impasse dans laquelle s’est enfermée la littérature sur « l’inefficacité de l’aide », pour découvrir les motivations cachées de l’aide étrangère.
This paper highlights an empirically significant trade-off between the aid flows delivered by donor
countries and the inflows of migrants that they receive from developing countries. It draws the
implications for aid policy from a simple game-theoretic model, after reviewing the recent literature on the effects and motivations of foreign aid to developing countries. The paper is part of the
recent effort by economists, goaded by the dead end in which the “aid ineffectiveness” literature
had cornered itself, to discover the hidden agenda behind foreign aid.
1 INTRODUCTION
Les immigrants sont-ils bienvenus dans les pays riches ? La menace d’une
invasion par des migrants pauvres venus du sud est agitée de façon récurrente, surtout à l’approche d’élections importantes. Il semble qu’il existe un
*
Jean-Paul Azam est professeur à la Toulouse School of Economics (Université de Toulouse 1) et directeur d’ARQADE (Atelier de recherche quantitative appliquée au développement économique). Il est aussi membre de l’IDEI (Institut d’économie industrielle).
Ruxanda Berlinschi était doctorante et lecturer à la Toulouse School of Economics
(ARQADE) au temps de la rédaction de cet article, et elle est maintenant en séjour postdoctoral à l’Université catholique de Leuven (Belgique). Les auteurs remercient les participants à la conférence ABCDE pour leurs commentaires. Ils remercient en particulier
Melvin Ayogu, qui a officié comme discutant. Jennifer Hunt et Devesh Kapur ont aussi
fait des commentaires très précieux.
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Jean-Paul Azam *
Ruxanda Berlinschi
Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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nombre important d’électeurs pour exercer une pression sur les gouvernements visant à leur faire adopter des barrières légales contre l’immigration.
Certains pays d’Europe du nord, qui ont longtemps été très libéraux à cet
égard, ont vu émerger des mouvements de type Front National, ayant une attitude assez agressive contre l’immigration. Ce phénomène peut même s’observer dans des pays où le chômage est négligeable, comme aux Pays-Bas. Dans le
même temps, des voix s’élèvent pour expliquer qu’il est coûteux de maintenir
les migrants à distance. Borjas (1995), par exemple, analyse les bénéfices
qu’en tire le pays d’accueil dans un cadre d’équilibre général concurrentiel.
Son modèle montre que les nationaux profitent de l’immigration grâce aux
complémentarités dans la production qui existent entre les travailleurs immigrés et les autres facteurs de production, et que ces bénéfices sont plus importants quand les actifs des immigrants sont suffisamment différents du stock
d’intrants nationaux. Un argument différent est utilisé par Ortega (2000)
dans un modèle dynamique du marché du travail à équilibres multiples. Dans
ce modèle, l’immigration fait pencher le pouvoir de négociation en faveur des
entreprises, avec un impact favorable sur l’emploi et les salaires. D’autres
bienfaits ont été identifiés en dehors du marché du travail. Gubert (2003) présente un calcul frappant : si la France acceptait seulement 60 000 immigrants
maliens de plus, et si ces nouveaux immigrés avaient la même propension à
envoyer des transferts dans leur pays que ceux qui vivent aujourd’hui en
France, le montant total de ces transferts serait équivalent à l’aide que la
France donne actuellement au Mali. C’est un nombre négligeable de personnes pour un pays dont la population est plus que 1 000 fois supérieure à ce
chiffre. Cette migration additionnelle aiderait aussi à réduire les dépenses
publiques, puisqu’il faudrait moins de policiers pour traquer les migrants illégaux, et que l’administration française de l’aide pourrait être réduite notablement si le flux d’aide devait ainsi être réduit. Les transferts sont le principal
bénéfice que les pays en développement reçoivent des migrants qu’ils envoient
chaque année vers les pays riches. Klein et Harford (2005) montrent que ces
transferts sont de nos jours une des principales sources de financement extérieur pour les pays en développement, une source qui s’accroît régulièrement,
avec un profil temporel assez lisse. Ces transferts sont devenus au moins aussi
importants que l’aide étrangère pour beaucoup de pays en développement. Il
ressort clairement de ce type de calcul que le coût d’opportunité de la lutte contre l’immigration est important pour les pays riches. Les groupes de pression
anti-immigration doivent donc percevoir des effets nuisibles considérables pour
leurs pays, pour les convaincre d’accepter de tels coûts. Cependant, la recherche quantitative n’a pas réellement confirmé statistiquement l’importance de
ces externalités perçues par ces groupes de pression.
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Le présent article vise à faire apparaître les principaux déterminants du
flux de migrants vers les pays riches, dans le but de trouver s’il existe des
outils de politique, en plus du contrôle des visas, que les gouvernements du
nord utilisent pour réduire l’immigration. On peut considérer cette analyse
comme un élément d’un programme de recherche qui cherche à découvrir les
véritables objectifs poursuivis au moyen de l’aide internationale, dont la littérature dite de « l’inefficacité de l’aide » a montré qu’ils sont différents des
buts proclamés de promouvoir la croissance et de lutter contre la pauvreté
dans les pays bénéficiaires. La prochaine section passe en revue les études
consacrées aux effets et aux déterminants des migrations, et présente brièvement le débat sur l’inefficacité de l’aide. Dans la section d’après, un modèle
simple de théorie des jeux est esquissé, pour en déduire quelques prédictions
testables. Une analyse économétrique montre ensuite que l’aide fait réellement partie des outils utilisés par les gouvernements des pays riches pour
contrôler l’immigration. La section finale présente les conclusions de l’article.
2 LES EFFETS DES FLUX D’IMMIGRANTS
Les effets des flux d’immigrants sur les pays hôtes ont été largement étudiés
dans la littérature économique. L’essentiel de cette recherche a été consacré
aux effets sur le marché du travail, et en particulier sur les salaires et les taux
d’emploi des nationaux des pays receveurs. Le modèle le plus simple d’équilibre du marché du travail suggère que l’immigration entraîne une externalité
pécuniaire, parce que l’accroissement de l’offre de travail résultant de l’immigration devrait soit amener une réduction des salaires, soit, en présence de
rigidités des salaires, une augmentation du chômage. En réalité, cet effet
négatif peut être amorti par des ajustements du marché du travail ; par exemple, des entreprises peuvent s’installer dans les régions où le travail devient
moins cher, augmentant ainsi la demande de travail dans ces régions, ou bien
les nationaux peuvent quitter ces régions où les immigrants sont arrivés. De
plus, en choisissant leur destination, les migrants prennent en compte les
salaires futurs prévus, et des chocs de demande qui ne sont peut-être pas
observables par l’économètre (Borjas 2003). Pour toutes ces raisons, mesurer
les effets des migrants sur les salaires est un exercice empirique difficile, et il
n’y a pas de consensus général sur cette question. En utilisant les données des
recensements décennaux américains pour 1960-1990, et celles des enquêtes de
population des années 1998-2001, Borjas (2003) trouve que l’immigration a
un effet négatif considérable sur les salaires des travailleurs nationaux. Card
(2001) montre que les flux d’immigration de la fin des années 1980 dans les
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L’aide contre l’immigration
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villes américaines ayant une forte population d’immigrants ont réduit les
taux d’emploi relatifs des travailleurs nationaux faiblement qualifiés de près
de 1 % et leurs salaires relatifs de moins de 3 %. Friedberg et Hunt (1995)
passent en revue la littérature théorique et appliquée sur l’impact des immigrants sur les salaires et la croissance et concluent que l’effet sur les salaires
des nationaux est très faible. Longhi, Nijkamp, et Poot (2005), sur la base de
leur meta-analyse de 18 études empiriques de ce type, concluent qu’il existe
un effet négatif robuste et statistiquement significatif des immigrants sur les
salaires des nationaux, mais de faible amplitude, et que cet effet est plus fort
en Europe qu’aux États-Unis. D’autres types d’externalités ont été discutés
dans le contexte de l’immigration. Par-delà ses effets sur l’économie, l’immigration a aussi des effets démographiques et politiques sur les pays d’accueil.
Étant donné que les populations immigrées sont généralement plus jeunes
que les nationaux, et ont des taux de fécondité plus élevés, l’immigration
pourrait offrir une manière de réduire le taux de dépendance dans les pays
industrialisés.
Du point de vue politique, certains pays s’inquiètent de l’effet des immigrants sur leur identité nationale et leur stabilité ethnique et culturelle. La
création par le président français Nicolas Sarkozy d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale est une réponse à ce type
d’inquiétude. Certains craignent aussi l’infiltration par des terroristes potentiels ou des trafiquants de drogue (Neumayer 2006). Ces considérations politiques semblent exercer une influence au moins aussi importante que l’impact
économique décrit ci-dessus sur les décisions des autorités à propos de l’immigration. Neumayer (2006) montre que plus un pays est pauvre, moins démocratique, et plus exposé à des conflits politiques armés, et plus ses ressortissants
ont des chances d’être soumis à des restrictions de visa. Il en va de même pour
les ressortissants de pays sources d’attaques terroristes. Il semble donc que les
migrants venus des pays les plus pauvres soient moins bien acceptés que ceux
qui viennent des pays riches. Puisque les pays les plus pauvres sont aussi ceux
qui reçoivent le plus d’aide étrangère, il est naturel de se demander si cette dernière est utilisée en fait pour réduire l’immigration qui en vient.
D’autres arguments contre l’immigration sont basés sur ses effets sur les
pays sources. Une des conséquences les plus importantes de l’émigration pour
les pays d’origine est le flux de transferts en retour reçu par la famille et les
amis des migrants. Ces transferts sont indubitablement un moyen essentiel
de réduire la pauvreté et d’assurer la population contre certains risques. Dans
beaucoup de pays en développement, ces transferts sont une source de financement plus importante et plus stable que l’aide officielle au développement.
Mais ces transferts n’ont pas que des conséquences positives. Kapur (2004)
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note que, dans certains cas, les transferts des émigrés ont été une importante
source de financement pour le terrorisme ou des guerres civiles. En Somalie,
par exemple, une forte proportion des transferts des émigrés a financé l’achat
d’armes par les guérillas rurales. En Arménie, les transferts de la diaspora ont
soutenu des régimes nationalistes durs et ont compliqué les efforts visant à
résoudre les conflits régionaux. Le régime de la République Populaire Démocratique de Corée semble aussi avoir été renforcé par un tel accès à des ressources en devises étrangères. Kapur cite aussi la création d’une culture de
dépendance au sein des populations restées au pays, avec une participation
plus faible au marché du travail, ainsi qu’un risque de « syndrome hollandais »
si ces transferts sont dépensés dans une large mesure pour acheter des biens
non échangeables comme des logements ou des terrains. Un afflux important
de devises étrangères fait monter le taux de change de la devise nationale, ce
qui handicape les exportations et réduit la compétitivité des biens nationaux
face aux importations.
Certains résultats empiriques apportent un éclairage sur l’importance
relative de l’influence des variables économiques et autres sur les opinions
publiques des pays d’accueil, et sur l’impact en retour de ces opinions publiques sur les politiques d’immigration. Scheve et Slaughter (2001) ont montré
que les salariés faiblement qualifiés ont plus de chances de préférer qu’on
limite les flux d’immigrants admis aux États-Unis en utilisant des mesures
directes des préférences de la population américaine sur ce sujet, obtenues à
partir des études sur les élections nationales de 1992. Mayda (2006) utilise des
données d’enquête au niveau individuel, ainsi que d’autres données agrégées,
pour étudier les attitudes envers les immigrants, et la manière dont ces attitudes influencent les politiques d’immigration. Elle trouve que les individus
qualifiés ont plus de chances d’être en faveur de l’immigration dans les pays
où le niveau relatif de qualification des autochtones est élevé par rapport à
celui des immigrants. Les inquiétudes relatives à l’impact des immigrés sur la
criminalité, les perceptions individuelles des effets culturels des étrangers, les
sentiments racistes, et la taille des flux de demandeurs d’asile influencent
aussi les attitudes vis-à-vis de l’immigration. Mayda observe que les pays
ayant un niveau de produit intérieur brut (PIB) par habitant plus élevé sont,
en moyenne, moins ouverts à l’immigration, après avoir tenu compte de diverses variables au niveau individuel. Une étude de O’Rourke et Sinott (2006),
utilisant une base transversale de données par pays pour examiner les déterminants des attitudes individuelles envers l’immigration, montre que celles-ci
reflètent des intérêts économiques aussi bien qu’un sentiment nationaliste.
Ces auteurs montrent que parmi les participants au marché du travail, les
plus qualifiés sont moins opposés à l’immigration que les moins qualifiés. Cet
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Facchini et Mayda (2008) utilisent un échantillon de 34 pays inclus dans
les vagues de 1995 et de 2003 du Programme d’Enquête Sociale Internationale pour montrer que les opinions négatives des électeurs envers l’immigration expliquent les politiques restrictives d’immigration mises en place dans
les pays de destination. Ils montrent que les pays dans lesquels l’électeur
médian est le plus opposé à l’immigration tendent à mettre en œuvre les
politiques les plus restrictives. Ainsi, il semble que par-delà l’impact des
immigrants sur l’économie, les citoyens des pays riches s’inquiètent des
menaces que font peser les immigrants sur la sécurité, l’identité nationale,
et la stabilité ethnique et culturelle.
3 LES DÉTERMINANTS DES FLUX D’IMMIGRATION
Beaucoup d’arguments ont été avancés pour expliquer, sans nécessairement
justifier, pourquoi les gouvernements du nord cherchent à réduire l’immigration dans leur pays. La question essentielle maintenant est de savoir s’ils font
réellement quelque chose pour la réduire. Disposent-ils d’instruments politiques qu’ils utilisent pour réduire ces flux ? Les restrictions sur le nombre de
visas n’offrent qu’un moyen de contrôle imparfait sur les flux d’immigration.
Beaucoup de pays industrialisés ont des lois de réunification familiale qui
mènent à des immigrations en chaîne, et beaucoup de pays ont signé des traités de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés qui les obligent à en
accepter quelques-uns. D’après des données du Haut Commissariat des
Nations Unies aux Réfugiés (HCR), 28 pays industrialisés ont reçu 560 000
demandes d’asile en 2000, et près d’un million de demandeurs d’asile attendaient une décision. De plus, les quotas de visas ne réduisent pas le nombre
d’immigrants illégaux, comme le discute de Haas (2006) avec force. Hatton et
Williamson (2002) notent qu’environ 300 000 immigrants illégaux entrent
aux États-Unis chaque année, et que 400 à 500 000 immigrants de ce type
entrent en Europe de l’Ouest. On estime que les immigrés illégaux ajoutent
10 à 15 % au stock de personnes nées à l’étranger des pays de l’Organisation
pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). Ainsi, l’instrument du visa seul n’est pas une solution suffisante si le niveau d’immigration désiré est plus faible que celui qu’on observe ou que celui que l’on
s’attend à voir s’établir à l’avenir si aucune autre mesure n’est adoptée.
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effet est plus fort dans les pays riches que dans les pays plus pauvres et dans
les pays plus égalitaires que dans les pays souffrant d’une inégalité plus forte.
Parmi ceux qui ne participent pas à la force de travail, les facteurs non économiques sont beaucoup plus importants que les considérations économiques
pour déterminer les attitudes envers l’immigration.
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Une riche littérature empirique s’est attachée à découvrir les déterminants des flux d’immigration et a produit une bonne moisson de résultats convergents. Par exemple, Mayda (2007) a trouvé que les améliorations du revenu
dans les pays de destination, ainsi que la part de la population jeune dans les
pays d’origine, ont des effets positifs et significatifs sur les taux d’émigration,
et que la distance entre les pays et les restrictions de visas ont des effets négatifs, en utilisant un panel de 14 pays de l’OCDE par pays d’origine entre 1980
et 1995. Jennissen (2003) a trouvé des résultats du même ordre, en étudiant
les taux nets d’immigration en Europe de l’Ouest pour la période 1960-1998. Il
trouve que le PIB par tête, le stock de migrants en place, et le niveau d’éducation de la population ont des effets positifs, et que les taux de chômage ont un
effet négatif. Hatton et Williamson (2002) présentent une évaluation quantitative des déterminants économiques et démographiques fondamentaux des
migrations à travers le monde pendant diverses périodes historiques, en utilisant des données sur les taux d’immigration nette sur des périodes de cinq ans
de 1970-1975 à 1995-2000 pour 80 pays. Ces auteurs trouvent que la part de la
population jeune de 15 à 29 ans dans le pays d’accueil a un effet négatif sur le
taux d’immigration et que le stock d’immigrants a un effet positif. Ils montrent aussi qu’un accroissement du revenu national par rapport au reste du
monde et par rapport à la région augmentent tous les deux l’immigration nette
dans un pays. Lucas (2005) examine les causes et les conséquences des migrations pour les pays à faible revenu. Neumayer (2005) trouve que les violations
des droits de l’homme, la violence politique, et les défaillances des États, sont
des déterminants importants de la migration sous forme d’asile, avec un effet
non linéaire de la démocratie, en utilisant un panel sur le nombre annuel de
demandeurs d’asile dans les pays d’Europe de l’Ouest entre 1982 et 1999. Les
conditions économiques dans les pays d’origine sont aussi un déterminant
important du nombre de demandeurs d’asile en Europe de l’Ouest. Neumayer
suggère qu’une aide au développement généreuse et l’ouverture des marchés
européens protégés aux importations en provenance des pays d’origine pourraient soulager la pression migratoire, un point de vue que de Haas (2006) critique avec force.
Il est surprenant qu’il existe peu d’études sur la relation entre l’aide et les
migrations. Au vu de la littérature citée ci-dessus, le différentiel de revenu
apparaît comme un des déterminants principaux de l’offre d’immigrants.
Comme l’aide est un transfert qui réduit, au moins à la marge, ces différentiels, il est naturel de se demander si l’aide étrangère réduit l’immigration.
Castles (2003) caractérise les politiques d’immigration poursuivies par le
Royaume-Uni et l’Union Européenne comme étant généralement un échec, et
soutient que la réduction de l’inégalité Nord-Sud est la clef d’une gestion effi-
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4 A LA RECHERCHE DE L’AGENDA CACHÉ DE L’AIDE
La littérature académique sur l’aide étrangère a été parfois paradoxale. Elle a
attiré l’attention du public sous le nom générique de « l’inefficacité de l’aide » ;
Easterly (2006) la passe en revue dans une recension influente visant une
large audience. Cette littérature montre de manière assez cohérente que l’aide
étrangère n’a pas beaucoup de succès pour promouvoir la croissance et réduire
la pauvreté dans les pays bénéficiaires. Les auteurs qui ont contribué à cet
ensemble de travaux finissent par exprimer de sévères critiques à l’encontre
de la communauté internationale, qui semble incapable de poursuivre son
objectif proclamé. Le slogan récent de la Banque mondiale : « Notre rêve : un
monde libéré de la pauvreté » semble condamné à ne rester qu’un rêve. Cette
conclusion semble défier la méthodologie usuelle de la science économique à
un niveau fondamental. Comment se fait-il que la communauté internationale
ait dépensé avec constance des milliards de dollars en aide étrangère pendant
six décennies sans qu’elle soit « efficace ». N’y a-t-il pas de mécanisme de correction d’erreur qui puisse mettre fin à ce « gaspillage massif » ? Mais cet
apparent paradoxe ne concerne qu’une petite fraction de la littérature académique sur l’aide, et n’est en fait que le fruit d’une interprétation hâtive des
résultats trouvés.
4.1 L’énigme de l’inefficacité de l’aide
La cause profonde de tout ce remue-ménage est que certains économistes ont
pris pour argent comptant les objectifs déclarés de l’aide étrangère. On a toujours proclamé que le but poursuivi était de promouvoir la croissance dans les
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cace des migrations. Morrison (1982) défend l’idée que la façon la plus prometteuse d’influencer la migration à court terme est de le faire par une politique
de promotion d’activités créatrices d’emploi et, à long terme, en réduisant la
croissance démographique et en améliorant la distribution des revenus. En
fait, pour les pays à très bas revenus, l’aide étrangère pourrait en fait augmenter à court terme les taux d’émigration, à cause d’un phénomène possible de
bosse de migration. Rotte et Vogler (2000) étudient les influences de facteurs
économiques, démographiques, et politiques sur les flux d’immigration vers
l’Allemagne en provenance de 86 pays entre 1981 et 1995, en utilisant des données de panel. Berthélemy, Beuran et Maurel (2009) estiment la détermination
simultanée de l’aide et des migrations en utilisant un échantillon transversal
de pays et un système d’équations simultanées.
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Un article souvent cité de Boone (1996) a déclenché une vague de débats
sur l’inefficacité de l’aide, en montrant qu’on ne pouvait pas trouver d’effet
significatif de l’aide sur la croissance dans des régressions transversales. Dans
un article très influent, Burnside et Dollar (2000) soutiennent avec force qu’il
faut prendre en compte l’hétérogénéité qui existe parmi les pays bénéficiaires,
pour analyser l’effet de l’aide. Ces auteurs sont partisans d’utiliser un indice
de qualité des politiques macroéconomiques comme paramètre d’hétérogénéité parmi les pays bénéficiaires. Leurs résultats suggèrent que l’aide accélère la croissance quand elle est donnée à des pays qui ont un bon cadre de
politique macroéconomique. De même, Svensson (1999) présente des résultats
de régression transversale qui montrent que l’aide est plus efficace pour accélérer la croissance dans les pays démocratiques. Dans la même veine, Kosack
et Tobin (2006) trouvent que l’aide étrangère et la démocratie ont des effets
positifs sur la croissance économique et le développement humain, pourvu
qu’il y ait déjà un niveau minimum de développement humain dans le pays
bénéficiaire. Néanmoins, le diagnostic dominant est qu’en général, à quelques
exceptions notables près, l’aide n’accélère pas la croissance. Certains auteurs
attribuent l’échec de l’aide à une conception erronée de la conditionnalité
(voir par exemple, Collier, 1997). Un certain nombre de théoriciens proposent
des solutions astucieuses pour redonner son efficacité à l’aide (Svensson,
2000, 2003, Azam et Laffont, 2003). Une autre réaction influente a été d’affirmer que l’aide est inefficace parce que son niveau est insuffisant ; il faudrait
donc une « forte poussée » pour tirer les gens hors du « piège de la pauvreté ».
Ce point de vue a été soutenu avec force par Sachs (2005), alors que Collier
(2007) adopte une variante plus subtile de cet argument.
Ces résultats et les réactions qu’ils ont entraînées soulèvent une question
méthodologique plus fondamentale : signifient-ils que l’aide est inefficace, ou
que le véritable agenda de l’aide n’est pas l’objectif ostensiblement mis en
avant d’encourager la croissance et de réduire la pauvreté ? La méthodologie
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pays bénéficiaires. Pendant longtemps, l’aide était destinée à combler le « déficit
d’épargne », c’est-à-dire à compenser le flux d’épargne supposé insuffisant qui
était censé affliger les pays pauvres. Collier (2007) suggère que le changement
d’accent survenu au cours des années 1980 et 1990, passant de la croissance
économique à la lutte contre la pauvreté, a été le résultat d’une campagne de
relations publiques visant à obtenir un soutien électoral en faveur de l’aide
étrangère sur l’ensemble de toutes les sensibilités politiques des pays riches.
Mais les économistes académiques ont rapidement commencé à donner de la
voix, en montrant qu’il n’y avait pas beaucoup de soutien empirique pour
l’hypothèse selon laquelle l’aide étrangère servait à promouvoir la croissance
ou à réduire significativement l’incidence de la pauvreté.
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correcte en science économique est basée sur la théorie de la préférence
révélée : au lieu d’essayer d’évaluer l’efficacité de l’aide étrangère en examinant dans quelle mesure elle atteint ses objectifs proclamés, nous devrions en
fait déduire son agenda réel à partir de ses résultats observés. Quand les gens
dépensent des milliards de dollars pendant des décennies, ils doivent bien
avoir atteint certains objectifs qui justifient de maintenir un tel flux de dépenses. Certains économistes ont donc essayé de découvrir l’agenda caché de
l’aide étrangère en analysant les déterminants de son allocation entre les pays
bénéficiaires. Leurs résultats suggèrent que l’impact de l’aide étrangère sur la
croissance et le développement n’est probablement pas le déterminant crucial
de son allocation. Par exemple, Burnside et Dollar (2000) trouvent que la qualité des politiques macroéconomiques mises en œuvre par un pays donné ne
rend pas ce pays plus susceptible de recevoir plus d’aide qu’un autre, bien
que cela la rende plus « efficace ». De même, Svensson (1999) présente une
analyse de régression transversale montrant que, bien que l’aide soit plus
efficace pour promouvoir la croissance dans les pays plus démocratiques, ces
derniers ne sont pas favorisés comme bénéficiaires. Ces résultats suggèrent
encore que l’allocation de l’aide est gouvernée par d’autres considérations,
indiquant à nouveau qu’il y a sans doute un agenda caché à côté de l’engagement généreux à réduire la pauvreté.
4.2 La préférence révélée des bailleurs de fonds
L’analyse de la dimension politique de l’allocation de l’aide est poussée un peu
plus loin par Alesina et Dollar (2000), qui trouvent que le passé colonial et les
alliances stratégiques sont les principaux déterminants du montant de l’aide
reçue par les pays pauvres. Ils montrent aussi, cependant, que dans la dimension
temporelle, la démocratisation est souvent suivie d’une aide accrue, bien qu’il
n’y ait aucun effet statique de la démocratie. Au contraire, Berthélemy et Tichit
(2004) trouvent un effet positif significatif de l’indice de liberté civile et des
droits politiques de Freedom House, dans une analyse en panel couvrant 137
pays aidés pendant la période 1980-1999. Cet effet est confirmé dans une analyse
ultérieure utilisant une autre méthode d’estimation (Berthélemy, 2006). Ces
deux dernières études mettent fortement en lumière que pour allouer leur aide,
la plupart des bailleurs de fonds bilatéraux semblent guidés par leur intérêt propre, et en particulier par leurs relations commerciales. Fleck et Kilby (2006a)
montrent que les considérations commerciales jouent un rôle important pour
déterminer l’allocation de l’aide bilatérale américaine entre les pays, et ce en
particulier quand le président ou le congrès sont conservateurs. Les résultats
rapportés par Fleck et Kilby (2006b) suggèrent que la validité de ce diagnostic
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peut être étendue au cas de la Banque mondiale, dont le comportement d’allocation de l’aide est significativement influencé par les intérêts commerciaux et
politiques américains. On peut se demander, cependant, si ces flux commerciaux
sont parfaitement exogènes, au moins en ce qui concerne les bailleurs de fonds
bilatéraux. Bien que la plupart d’entre eux aient formellement abandonné l’aide
liée vers la fin de la période d’analyse 1960-1997 qu’utilisent Fleck et Kilby
(2006a), il reste sans doute des manières implicites et subtiles de lier l’aide. De
plus, l’aide finance en partie le déficit commercial des pays en développement, et
ceci accroît probablement les importations en provenance des pays industrialisés, qui sont aussi les principaux donateurs. Cet effet est encore plus vraisemblable vers la fin de la période d’analyse, puisque la libéralisation commerciale a été
une caractéristique essentielle des programmes de réforme soutenus par l’aide
étrangère sous l’influence des institutions de Bretton Woods. Par conséquent,
une causalité en retour entre l’aide et le commerce est probablement en jeu,
transmise par divers mécanismes, de sorte que les résultats vus ci-dessus pourraient être trompeurs.
Chauvet (2002) analyse la relation entre l’allocation de l’aide entre les
pays bénéficiaires et divers types d’« instabilités sociopolitiques », se référant
à des évènements qui reflètent des troubles politiques dans ces pays. Elle en
distingue trois types : (a) l’instabilité d’élite, incluant les coups d’État, les
révolutions, et les crises gouvernementales majeures ; (b) l’instabilité violente, incluant les assassinats politiques, la présence de guérilla, et les guerres
civiles ; et (c) l’instabilité sociale, telle que les grèves, les manifestations, et les
émeutes. Elle montre que ces trois types d’évènements ont des effets différents sur l’allocation de l’aide, dépendant aussi du type d’aide. Les instabilités
de type (a) et (b) ont un effet positif, suggérant que les flux d’aide sont adressés à des gouvernements qui sont soumis à des menaces politiques, alors que
le type (c) a un effet négatif, montrant que l’aide se détourne plutôt des menaces pesant plus directement sur l’économie. Ces résultats suggèrent que les
donateurs donnent de l’aide aux gouvernements avec des motivations politiques, avec un penchant conservateur pour fournir un soutien aux gouvernements en place. Les questions économiques, telles que la croissance et la
réduction de la pauvreté, semblent jouer un rôle secondaire, puisque les gouvernements qui font face à une plus grande « instabilité sociale », reflétant
probablement le mécontentement de certains groupes face à des difficultés
économiques, sont punis d’une certaine façon en obtenant moins d’aide. Cette
ligne de recherche empirique essaie de déduire des déterminants de l’allocation de l’aide entre les pays les objectifs que les bailleurs de fonds visent réellement à atteindre, mais elle ne teste pas directement l’impact de l’aide sur ces
objectifs supposés.
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L’aide contre l’immigration
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Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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Le présent article constitue une tentative supplémentaire pour identifier
un objectif des donateurs, en testant si l’aide est en fait utilisée pour réduire
la migration en provenance des pays pauvres.
5 LES IMPLICATIONS DE L’EFFET DE L’AIDE
SUR LES MIGRATIONS
Un modèle très simple suffit pour saisir les principales questions qui se posent
au vu de la relation potentielle entre l’aide et les migrations quand les pays
riches souhaitent utiliser la politique d’aide pour réduire les flux d’immigration. Si l’aide a réellement un effet, il est vraisemblable qu’elle ait aussi des
retombées au-delà de ses objectifs immédiats. L’aide donnée par un donateur
pourrait réduire simultanément les flux d’émigration en provenance du pays
bénéficiaire en direction non seulement de ce pays donateur, mais vers d’autres
pays aussi. Ceci implique qu’un problème de passager clandestin est susceptible de se poser, à moins que les bailleurs de fonds coordonnent leur action. Le
modèle discuté ci-dessous illustre ce point.
5.1 Le modèle
Supposons qu’il y ait trois pays dans le monde : deux pays donateurs, appelés
1 et 2, dont le niveau de richesse risque d’attirer des migrants, et un pays en
développement, dont les flux d’émigrés vers chaque pays donateur sont notés
n 1 et n 2 . Les bailleurs de fonds ont la possibilité de donner de l’aide au pays
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Alesina et Weder (2002) utilisent une stratégie empirique un peu différente, étudiant directement l’effet de l’aide sur certains objectifs potentiels des
donateurs. Ils montrent que le niveau de corruption affectant le gouvernement
bénéficiaire n’affecte pas directement l’allocation de l’aide entre pays, mais
qu’il y a un effet significatif dans l’autre direction. Leurs résultats suggèrent
qu’un accroissement de l’aide cette année augmente le niveau de corruption
observé l’année d’après, ce qu’ils appellent l’« effet de voracité ». Ils concluent
donc que les bailleurs de fonds n’attachent pas d’importance à la corruption
dans le pays bénéficiaire. De la même façon, Azam et Delacroix (2006) et Azam
et Thelen (2008) étudient directement les effets de l’aide sur certains objectifs
potentiels des donateurs en tenant compte explicitement de la causalité en
retour. En utilisant une telle démarche d’économétrie structurelle, ils montrent que l’aide est efficace pour lutter contre le terrorisme, et que les bailleurs
de fonds allouent cette aide entre les pays en vue d’atteindre cet objectif.
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pauvre, dans le but de réduire le flux de migrants qui en provient. Deux mécanismes principaux peuvent expliquer pourquoi l’aide peut avoir un effet négatif sur le flux de migration. D’abord, l’aide peut participer à améliorer la
situation économique dans le pays bénéficiaire en soutenant des investissements productifs et en créant des emplois. Ensuite, l’aide peut inciter les gouvernements qui la reçoivent à dissuader l’émigration, si cette assistance est
conditionnée par l’adoption de mesures visant à en réduire le flux. Par exemple, des incitations pécuniaires peuvent être créées en faveur du retour des
migrants, réduisant par là-même le flux net, toutes choses égales par ailleurs,
ou bien des groupes plus enclins à migrer que d’autres peuvent être visés par
des mesures spécifiques. Au Mali et au Sénégal, par exemple, le groupe ethnique soninké est le plus porté à émigrer parce qu’il dispose d’une diaspora bien
établie sur laquelle il peut compter (cf. Azam et Gubert, 2006). Un projet de
« co-développement » a été mis en œuvre avec de l’argent de l’aide française,
visant à réduire l’émigration des membres de ce groupe en développant des
programmes attrayants dans leur région d’origine.
Notons a 1 et a 2 les flux d’aide provenant des pays 1 et 2, respectivement.
Supposons que le flux d’immigrants dans le pays 1 soit gouverné par la fonction suivante :
(1)
n 1 = f ( a 1, a 2, θ ) .
On suppose que les impacts des deux flux d’aide sur n 1 sont négatifs, pour
saisir la relation qui nous intéresse. L’impact négatif du flux d’aide propre au
pays est assez évident, mais l’effet croisé mérite un commentaire supplémentaire. Si l’un ou l’autre des flux d’aide a un effet positif sur le niveau d’activité
économique et la création d’emplois susceptible de réduire l’attrait de l’émigration pour les ressortissants du pays en développement, alors on ne peut
pas supposer que cela va influencer seulement le flux à destination de chaque
pays donateur pris séparément. Il y aura aussi probablement un effet débordant sur le flux vers l’autre pays. À la limite, on pourrait soutenir que c’est
seulement le flux d’aide total a 1 + a 2 , qui compte pour le flux de migrants, si
les deux flux d’aide avaient le même impact dans le pays bénéficiaire. La
spécification plus générale adoptée à l’équation (1) admet cependant qu’un
ciblage plus fin par le pays donateur soit possible, lequel peut concevoir des
politiques qui affectent principalement le flux de migration allant dans sa
direction propre. Par exemple, il pourrait cibler un groupe ethnique particulier parce qu’il est lié à une diaspora importante dans l’un des pays donateurs.
Le paramètre θ saisit l’ensemble des autres variables qui sont susceptibles
d’affecter le flux de migrants vers le pays de destination. En permutant les
indices 1 et 2, on peut facilement engendrer la fonction équivalente à l’équation (1) pour le pays donateur 2.
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L’aide contre l’immigration
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Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
Supposons alors que le pays 1 soit disposé à encourir le coût de l’aide si celleci a réellement un effet pour réduire le flux de migrants allant dans sa direction.
On saisit ceci en supposant que le pays 1 cherche à minimiser la fonction de
perte suivante :
min a1, n1 L ( a 1, n 1, λ )
(2)
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5.2 L’équilibre de Nash et les flux de migration
Si les deux pays donateurs déterminent leur politique d’aide sans se coordonner entre eux, les flux d’aide et de migration vont être déterminés par l’équilibre de Nash du jeu. C’est le concept d’équilibre le plus commun en théorie
des jeux non coopératifs, qui suppose que chaque joueur prend le choix fait
par l’autre joueur comme donné.
Figure 1 : L’équilibre de Nash et le flux d’aide optimal
La figure 1 décrit la manière dont le pays 1 détermine sa fonction de réaction a 1 ( a 2, θ, λ ) , en minimisant l’équation (2) sous la contrainte constituée
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qui est croissante et convexe par rapport à ses deux premiers arguments. Ceci
saisit le fait que l’aide implique un coût pour le pays donateur, en utilisant des
ressources fiscales, et que, pour une raison ou une autre, le gouvernement de
ce pays a le sentiment que ce dernier attire trop d’immigrants. Le paramètre
λ saisit les variables contextuelles qui sont susceptibles d’affecter la sensibilité du gouvernement vis-à-vis de l’immigration, comme des élections ou
d’autres déterminants politiques. On suppose qu’une fonction du même type
gouverne les choix faits par le pays 2.
L’aide contre l’immigration
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5.3 Pourquoi coordonner l’aide
On montre facilement que ce point d’équilibre de Nash est inefficient du point
de vue des pays donateurs. Il implique qu’un problème de passager clandestin
amène les deux pays à donner un niveau d’aide insuffisant. Les effets de
débordement de l’aide sur la migration analysés ci-dessus réduisent vraisemblablement les incitations qu’a chaque donateur à offrir de l’aide pour réduire
l’immigration. À l’équilibre de Nash, chaque joueur considère le choix d’équilibre effectué par l’autre joueur comme donné. Mais les deux joueurs pourraient obtenir un meilleur résultat en coordonnant leurs décisions d’aide de
manière à prendre en compte l’effet de débordement. L’intuition de ce résultat peut se comprendre en regardant les lignes en pointillé de la figure 1. Le
point C représente la situation résultant d’un tel équilibre coordonné, comme
on peut le démontrer par l’argument suivant. On remarque que si le donateur
N
2 accroît le flux d’aide qu’il donne par rapport à a 2 , la relation aide-immigration qui se présente au pays 1 glisse vers le bas, jusqu’à une position illustrée
*
N
par la courbe convexe en pointillé correspondant à a 2 > a 2 . Ce glissement vers
le bas reflète l’effet de débordement du flux d’aide donné par le pays 2 qui
réduit l’afflux de migrants dans le pays 1, étant donné le niveau d’aide versé
par le pays 1. Alors, dans l’équilibre coordonné, le donateur 1 va lui aussi aug*
N
menter son aide comme le donateur 2, en un point tel que C , où a 1 > a 1 . Le
point C est situé sur une courbe d’indifférence plus basse que le point N , correspondant donc à une valeur plus faible de la fonction de perte (2), de sorte
que le donateur 1 préfère cet équilibre coordonné à celui de Nash. Ce gain survient malgré le fait que le donateur 1 dépense plus d’argent en aide, parce
qu’il reçoit un flux de migrants plus faible en retour. Un diagramme semblable pourrait être tracé pour le pays 2.
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par l’équation (1), en prenant a 2 , θ , et λ comme donnés. La courbe convexe
représente la relation entre l’aide et l’immigration (équation 1), en supposant
N
que le flux d’aide choisi par le pays 2 est à son niveau d’équilibre de Nash a 2 .
La convexité supposée de la courbe saisit l’idée que l’aide a un impact marginal décroissant sur l’afflux de migrants, de sorte que même un niveau très
élevé d’aide ne pourrait pas réduire leur nombre à zéro. Dans ce cas le donaN
teur 1 va choisir son flux d’aide d’équilibre a 1 au point où une courbe d’indifférence de la fonction de perte (2), représentée par la courbe concave, est
tangente à la relation entre l’aide et l’immigration. Le point d’équilibre qui en
résulte, marqué N à la figure 1, représente le choix simultané du niveau
N
N
d’aide a 1 et du flux de migration n 1 fait par le pays 1 à l’équilibre de Nash,
N
étant donné le flux d’aide d’équilibre a 2 choisi par le pays 2. Un diagramme
semblable pourrait évidemment être tracé pour le pays 2.
Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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La figure 1 suggère aussi qu’un tel équilibre coordonné requiert une capacité d’engagement irréversible fortement crédible pour surmonter la tentation de tricher a posteriori. Une fois que le joueur 2 a engagé a *2 , de sorte que
la relation aide-migration a glissé vers le bas jusqu’à la position marquée en
pointillé f ( a 1, a *2, θ ) , le joueur 1 est tenté de réduire sa propre contribution en
glissant vers la gauche le long de cette relation de façon à atteindre une
courbe d’indifférence de sa fonction de perte encore plus basse, par exemple le
˜ . S’il anticipait une telle réaction, le joueur 2 pourrait alors être dispoint N
suadé d’accroître son flux d’aide pour commencer. C’est l’essence même du
problème de passager clandestin, bien connu par beaucoup sous la forme du
« dilemme du prisonnier ». Les deux pays donateurs doivent avoir une façon
crédible de se lier les mains s’ils veulent mettre en œuvre un tel équilibre
coordonné. En fait, on peut observer dans le monde réel que la communauté
des bailleurs de fonds fait beaucoup d’efforts pour rendre crédibles ses promesses de contribution, en utilisant toute une série de méthodes allant de la
définition internationale des Objectifs de Développement du Millénaire
jusqu’à la création de groupes de pression très dépendants de l’aide dans leur
propre pays (peut-être en liant leur aide au profit de certaines entreprises
puissantes ou en créant une administration de l’aide pléthorique). Néanmoins, à moins de supposer que les pays donateurs coordonnent parfaitement
leurs politiques d’aide pour réduire les flux d’immigration, ce problème de
passager clandestin suggère que les flux d’aide que nous observons dans le
monde réel sont potentiellement inférieurs à leurs valeurs optimales.
Cette courte analyse théorique des implications de la relation aide-migration repose entièrement sur l’hypothèse qu’il existe bien un tel effet dans le
monde réel, et qu’il y a vraisemblablement des effets de débordement tels que
l’aide donnée par un pays affecte les flux de migrants à destination d’autres
pays. L’analyse économétrique qui suit vise à tester si ces deux hypothèses
re�
The Aid-Migration Trade-Off
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Cet article met en lumière une relation économétrique montrant que les flux d’aide donnés par
les pays donateurs réduisent significativement les flux d’immigrants qu’ils reçoivent des pays en
développement. Il déduit les implications pour la politique d’aide d’un simple modèle de théorie
des jeux, après avoir passé en revue la littérature récente sur les effets et les motivations de l’aide
étrangère aux pays en développement. Cet article participe aux efforts effectués récemment par
les économistes, stimulés par l’impasse dans laquelle s’est enfermée la littérature sur « l’inefficacité de l’aide », pour découvrir les motivations cachées de l’aide étrangère.
This paper highlights an empirically significant trade-off between the aid flows delivered by donor
countries and the inflows of migrants that they receive from developing countries. It draws the
implications for aid policy from a simple game-theoretic model, after reviewing the recent literature on the effects and motivations of foreign aid to developing countries. The paper is part of the
recent effort by economists, goaded by the dead end in which the “aid ineffectiveness” literature
had cornered itself, to discover the hidden agenda behind foreign aid.
1 INTRODUCTION
Les immigrants sont-ils bienvenus dans les pays riches ? La menace d’une
invasion par des migrants pauvres venus du sud est agitée de façon récurrente, surtout à l’approche d’élections importantes. Il semble qu’il existe un
*
Jean-Paul Azam est professeur à la Toulouse School of Economics (Université de Toulouse 1) et directeur d’ARQADE (Atelier de recherche quantitative appliquée au développement économique). Il est aussi membre de l’IDEI (Institut d’économie industrielle).
Ruxanda Berlinschi était doctorante et lecturer à la Toulouse School of Economics
(ARQADE) au temps de la rédaction de cet article, et elle est maintenant en séjour postdoctoral à l’Université catholique de Leuven (Belgique). Les auteurs remercient les participants à la conférence ABCDE pour leurs commentaires. Ils remercient en particulier
Melvin Ayogu, qui a officié comme discutant. Jennifer Hunt et Devesh Kapur ont aussi
fait des commentaires très précieux.
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Jean-Paul Azam *
Ruxanda Berlinschi
Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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nombre important d’électeurs pour exercer une pression sur les gouvernements visant à leur faire adopter des barrières légales contre l’immigration.
Certains pays d’Europe du nord, qui ont longtemps été très libéraux à cet
égard, ont vu émerger des mouvements de type Front National, ayant une attitude assez agressive contre l’immigration. Ce phénomène peut même s’observer dans des pays où le chômage est négligeable, comme aux Pays-Bas. Dans le
même temps, des voix s’élèvent pour expliquer qu’il est coûteux de maintenir
les migrants à distance. Borjas (1995), par exemple, analyse les bénéfices
qu’en tire le pays d’accueil dans un cadre d’équilibre général concurrentiel.
Son modèle montre que les nationaux profitent de l’immigration grâce aux
complémentarités dans la production qui existent entre les travailleurs immigrés et les autres facteurs de production, et que ces bénéfices sont plus importants quand les actifs des immigrants sont suffisamment différents du stock
d’intrants nationaux. Un argument différent est utilisé par Ortega (2000)
dans un modèle dynamique du marché du travail à équilibres multiples. Dans
ce modèle, l’immigration fait pencher le pouvoir de négociation en faveur des
entreprises, avec un impact favorable sur l’emploi et les salaires. D’autres
bienfaits ont été identifiés en dehors du marché du travail. Gubert (2003) présente un calcul frappant : si la France acceptait seulement 60 000 immigrants
maliens de plus, et si ces nouveaux immigrés avaient la même propension à
envoyer des transferts dans leur pays que ceux qui vivent aujourd’hui en
France, le montant total de ces transferts serait équivalent à l’aide que la
France donne actuellement au Mali. C’est un nombre négligeable de personnes pour un pays dont la population est plus que 1 000 fois supérieure à ce
chiffre. Cette migration additionnelle aiderait aussi à réduire les dépenses
publiques, puisqu’il faudrait moins de policiers pour traquer les migrants illégaux, et que l’administration française de l’aide pourrait être réduite notablement si le flux d’aide devait ainsi être réduit. Les transferts sont le principal
bénéfice que les pays en développement reçoivent des migrants qu’ils envoient
chaque année vers les pays riches. Klein et Harford (2005) montrent que ces
transferts sont de nos jours une des principales sources de financement extérieur pour les pays en développement, une source qui s’accroît régulièrement,
avec un profil temporel assez lisse. Ces transferts sont devenus au moins aussi
importants que l’aide étrangère pour beaucoup de pays en développement. Il
ressort clairement de ce type de calcul que le coût d’opportunité de la lutte contre l’immigration est important pour les pays riches. Les groupes de pression
anti-immigration doivent donc percevoir des effets nuisibles considérables pour
leurs pays, pour les convaincre d’accepter de tels coûts. Cependant, la recherche quantitative n’a pas réellement confirmé statistiquement l’importance de
ces externalités perçues par ces groupes de pression.
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Le présent article vise à faire apparaître les principaux déterminants du
flux de migrants vers les pays riches, dans le but de trouver s’il existe des
outils de politique, en plus du contrôle des visas, que les gouvernements du
nord utilisent pour réduire l’immigration. On peut considérer cette analyse
comme un élément d’un programme de recherche qui cherche à découvrir les
véritables objectifs poursuivis au moyen de l’aide internationale, dont la littérature dite de « l’inefficacité de l’aide » a montré qu’ils sont différents des
buts proclamés de promouvoir la croissance et de lutter contre la pauvreté
dans les pays bénéficiaires. La prochaine section passe en revue les études
consacrées aux effets et aux déterminants des migrations, et présente brièvement le débat sur l’inefficacité de l’aide. Dans la section d’après, un modèle
simple de théorie des jeux est esquissé, pour en déduire quelques prédictions
testables. Une analyse économétrique montre ensuite que l’aide fait réellement partie des outils utilisés par les gouvernements des pays riches pour
contrôler l’immigration. La section finale présente les conclusions de l’article.
2 LES EFFETS DES FLUX D’IMMIGRANTS
Les effets des flux d’immigrants sur les pays hôtes ont été largement étudiés
dans la littérature économique. L’essentiel de cette recherche a été consacré
aux effets sur le marché du travail, et en particulier sur les salaires et les taux
d’emploi des nationaux des pays receveurs. Le modèle le plus simple d’équilibre du marché du travail suggère que l’immigration entraîne une externalité
pécuniaire, parce que l’accroissement de l’offre de travail résultant de l’immigration devrait soit amener une réduction des salaires, soit, en présence de
rigidités des salaires, une augmentation du chômage. En réalité, cet effet
négatif peut être amorti par des ajustements du marché du travail ; par exemple, des entreprises peuvent s’installer dans les régions où le travail devient
moins cher, augmentant ainsi la demande de travail dans ces régions, ou bien
les nationaux peuvent quitter ces régions où les immigrants sont arrivés. De
plus, en choisissant leur destination, les migrants prennent en compte les
salaires futurs prévus, et des chocs de demande qui ne sont peut-être pas
observables par l’économètre (Borjas 2003). Pour toutes ces raisons, mesurer
les effets des migrants sur les salaires est un exercice empirique difficile, et il
n’y a pas de consensus général sur cette question. En utilisant les données des
recensements décennaux américains pour 1960-1990, et celles des enquêtes de
population des années 1998-2001, Borjas (2003) trouve que l’immigration a
un effet négatif considérable sur les salaires des travailleurs nationaux. Card
(2001) montre que les flux d’immigration de la fin des années 1980 dans les
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L’aide contre l’immigration
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villes américaines ayant une forte population d’immigrants ont réduit les
taux d’emploi relatifs des travailleurs nationaux faiblement qualifiés de près
de 1 % et leurs salaires relatifs de moins de 3 %. Friedberg et Hunt (1995)
passent en revue la littérature théorique et appliquée sur l’impact des immigrants sur les salaires et la croissance et concluent que l’effet sur les salaires
des nationaux est très faible. Longhi, Nijkamp, et Poot (2005), sur la base de
leur meta-analyse de 18 études empiriques de ce type, concluent qu’il existe
un effet négatif robuste et statistiquement significatif des immigrants sur les
salaires des nationaux, mais de faible amplitude, et que cet effet est plus fort
en Europe qu’aux États-Unis. D’autres types d’externalités ont été discutés
dans le contexte de l’immigration. Par-delà ses effets sur l’économie, l’immigration a aussi des effets démographiques et politiques sur les pays d’accueil.
Étant donné que les populations immigrées sont généralement plus jeunes
que les nationaux, et ont des taux de fécondité plus élevés, l’immigration
pourrait offrir une manière de réduire le taux de dépendance dans les pays
industrialisés.
Du point de vue politique, certains pays s’inquiètent de l’effet des immigrants sur leur identité nationale et leur stabilité ethnique et culturelle. La
création par le président français Nicolas Sarkozy d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale est une réponse à ce type
d’inquiétude. Certains craignent aussi l’infiltration par des terroristes potentiels ou des trafiquants de drogue (Neumayer 2006). Ces considérations politiques semblent exercer une influence au moins aussi importante que l’impact
économique décrit ci-dessus sur les décisions des autorités à propos de l’immigration. Neumayer (2006) montre que plus un pays est pauvre, moins démocratique, et plus exposé à des conflits politiques armés, et plus ses ressortissants
ont des chances d’être soumis à des restrictions de visa. Il en va de même pour
les ressortissants de pays sources d’attaques terroristes. Il semble donc que les
migrants venus des pays les plus pauvres soient moins bien acceptés que ceux
qui viennent des pays riches. Puisque les pays les plus pauvres sont aussi ceux
qui reçoivent le plus d’aide étrangère, il est naturel de se demander si cette dernière est utilisée en fait pour réduire l’immigration qui en vient.
D’autres arguments contre l’immigration sont basés sur ses effets sur les
pays sources. Une des conséquences les plus importantes de l’émigration pour
les pays d’origine est le flux de transferts en retour reçu par la famille et les
amis des migrants. Ces transferts sont indubitablement un moyen essentiel
de réduire la pauvreté et d’assurer la population contre certains risques. Dans
beaucoup de pays en développement, ces transferts sont une source de financement plus importante et plus stable que l’aide officielle au développement.
Mais ces transferts n’ont pas que des conséquences positives. Kapur (2004)
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note que, dans certains cas, les transferts des émigrés ont été une importante
source de financement pour le terrorisme ou des guerres civiles. En Somalie,
par exemple, une forte proportion des transferts des émigrés a financé l’achat
d’armes par les guérillas rurales. En Arménie, les transferts de la diaspora ont
soutenu des régimes nationalistes durs et ont compliqué les efforts visant à
résoudre les conflits régionaux. Le régime de la République Populaire Démocratique de Corée semble aussi avoir été renforcé par un tel accès à des ressources en devises étrangères. Kapur cite aussi la création d’une culture de
dépendance au sein des populations restées au pays, avec une participation
plus faible au marché du travail, ainsi qu’un risque de « syndrome hollandais »
si ces transferts sont dépensés dans une large mesure pour acheter des biens
non échangeables comme des logements ou des terrains. Un afflux important
de devises étrangères fait monter le taux de change de la devise nationale, ce
qui handicape les exportations et réduit la compétitivité des biens nationaux
face aux importations.
Certains résultats empiriques apportent un éclairage sur l’importance
relative de l’influence des variables économiques et autres sur les opinions
publiques des pays d’accueil, et sur l’impact en retour de ces opinions publiques sur les politiques d’immigration. Scheve et Slaughter (2001) ont montré
que les salariés faiblement qualifiés ont plus de chances de préférer qu’on
limite les flux d’immigrants admis aux États-Unis en utilisant des mesures
directes des préférences de la population américaine sur ce sujet, obtenues à
partir des études sur les élections nationales de 1992. Mayda (2006) utilise des
données d’enquête au niveau individuel, ainsi que d’autres données agrégées,
pour étudier les attitudes envers les immigrants, et la manière dont ces attitudes influencent les politiques d’immigration. Elle trouve que les individus
qualifiés ont plus de chances d’être en faveur de l’immigration dans les pays
où le niveau relatif de qualification des autochtones est élevé par rapport à
celui des immigrants. Les inquiétudes relatives à l’impact des immigrés sur la
criminalité, les perceptions individuelles des effets culturels des étrangers, les
sentiments racistes, et la taille des flux de demandeurs d’asile influencent
aussi les attitudes vis-à-vis de l’immigration. Mayda observe que les pays
ayant un niveau de produit intérieur brut (PIB) par habitant plus élevé sont,
en moyenne, moins ouverts à l’immigration, après avoir tenu compte de diverses variables au niveau individuel. Une étude de O’Rourke et Sinott (2006),
utilisant une base transversale de données par pays pour examiner les déterminants des attitudes individuelles envers l’immigration, montre que celles-ci
reflètent des intérêts économiques aussi bien qu’un sentiment nationaliste.
Ces auteurs montrent que parmi les participants au marché du travail, les
plus qualifiés sont moins opposés à l’immigration que les moins qualifiés. Cet
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L’aide contre l’immigration
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Facchini et Mayda (2008) utilisent un échantillon de 34 pays inclus dans
les vagues de 1995 et de 2003 du Programme d’Enquête Sociale Internationale pour montrer que les opinions négatives des électeurs envers l’immigration expliquent les politiques restrictives d’immigration mises en place dans
les pays de destination. Ils montrent que les pays dans lesquels l’électeur
médian est le plus opposé à l’immigration tendent à mettre en œuvre les
politiques les plus restrictives. Ainsi, il semble que par-delà l’impact des
immigrants sur l’économie, les citoyens des pays riches s’inquiètent des
menaces que font peser les immigrants sur la sécurité, l’identité nationale,
et la stabilité ethnique et culturelle.
3 LES DÉTERMINANTS DES FLUX D’IMMIGRATION
Beaucoup d’arguments ont été avancés pour expliquer, sans nécessairement
justifier, pourquoi les gouvernements du nord cherchent à réduire l’immigration dans leur pays. La question essentielle maintenant est de savoir s’ils font
réellement quelque chose pour la réduire. Disposent-ils d’instruments politiques qu’ils utilisent pour réduire ces flux ? Les restrictions sur le nombre de
visas n’offrent qu’un moyen de contrôle imparfait sur les flux d’immigration.
Beaucoup de pays industrialisés ont des lois de réunification familiale qui
mènent à des immigrations en chaîne, et beaucoup de pays ont signé des traités de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés qui les obligent à en
accepter quelques-uns. D’après des données du Haut Commissariat des
Nations Unies aux Réfugiés (HCR), 28 pays industrialisés ont reçu 560 000
demandes d’asile en 2000, et près d’un million de demandeurs d’asile attendaient une décision. De plus, les quotas de visas ne réduisent pas le nombre
d’immigrants illégaux, comme le discute de Haas (2006) avec force. Hatton et
Williamson (2002) notent qu’environ 300 000 immigrants illégaux entrent
aux États-Unis chaque année, et que 400 à 500 000 immigrants de ce type
entrent en Europe de l’Ouest. On estime que les immigrés illégaux ajoutent
10 à 15 % au stock de personnes nées à l’étranger des pays de l’Organisation
pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). Ainsi, l’instrument du visa seul n’est pas une solution suffisante si le niveau d’immigration désiré est plus faible que celui qu’on observe ou que celui que l’on
s’attend à voir s’établir à l’avenir si aucune autre mesure n’est adoptée.
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effet est plus fort dans les pays riches que dans les pays plus pauvres et dans
les pays plus égalitaires que dans les pays souffrant d’une inégalité plus forte.
Parmi ceux qui ne participent pas à la force de travail, les facteurs non économiques sont beaucoup plus importants que les considérations économiques
pour déterminer les attitudes envers l’immigration.
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Une riche littérature empirique s’est attachée à découvrir les déterminants des flux d’immigration et a produit une bonne moisson de résultats convergents. Par exemple, Mayda (2007) a trouvé que les améliorations du revenu
dans les pays de destination, ainsi que la part de la population jeune dans les
pays d’origine, ont des effets positifs et significatifs sur les taux d’émigration,
et que la distance entre les pays et les restrictions de visas ont des effets négatifs, en utilisant un panel de 14 pays de l’OCDE par pays d’origine entre 1980
et 1995. Jennissen (2003) a trouvé des résultats du même ordre, en étudiant
les taux nets d’immigration en Europe de l’Ouest pour la période 1960-1998. Il
trouve que le PIB par tête, le stock de migrants en place, et le niveau d’éducation de la population ont des effets positifs, et que les taux de chômage ont un
effet négatif. Hatton et Williamson (2002) présentent une évaluation quantitative des déterminants économiques et démographiques fondamentaux des
migrations à travers le monde pendant diverses périodes historiques, en utilisant des données sur les taux d’immigration nette sur des périodes de cinq ans
de 1970-1975 à 1995-2000 pour 80 pays. Ces auteurs trouvent que la part de la
population jeune de 15 à 29 ans dans le pays d’accueil a un effet négatif sur le
taux d’immigration et que le stock d’immigrants a un effet positif. Ils montrent aussi qu’un accroissement du revenu national par rapport au reste du
monde et par rapport à la région augmentent tous les deux l’immigration nette
dans un pays. Lucas (2005) examine les causes et les conséquences des migrations pour les pays à faible revenu. Neumayer (2005) trouve que les violations
des droits de l’homme, la violence politique, et les défaillances des États, sont
des déterminants importants de la migration sous forme d’asile, avec un effet
non linéaire de la démocratie, en utilisant un panel sur le nombre annuel de
demandeurs d’asile dans les pays d’Europe de l’Ouest entre 1982 et 1999. Les
conditions économiques dans les pays d’origine sont aussi un déterminant
important du nombre de demandeurs d’asile en Europe de l’Ouest. Neumayer
suggère qu’une aide au développement généreuse et l’ouverture des marchés
européens protégés aux importations en provenance des pays d’origine pourraient soulager la pression migratoire, un point de vue que de Haas (2006) critique avec force.
Il est surprenant qu’il existe peu d’études sur la relation entre l’aide et les
migrations. Au vu de la littérature citée ci-dessus, le différentiel de revenu
apparaît comme un des déterminants principaux de l’offre d’immigrants.
Comme l’aide est un transfert qui réduit, au moins à la marge, ces différentiels, il est naturel de se demander si l’aide étrangère réduit l’immigration.
Castles (2003) caractérise les politiques d’immigration poursuivies par le
Royaume-Uni et l’Union Européenne comme étant généralement un échec, et
soutient que la réduction de l’inégalité Nord-Sud est la clef d’une gestion effi-
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4 A LA RECHERCHE DE L’AGENDA CACHÉ DE L’AIDE
La littérature académique sur l’aide étrangère a été parfois paradoxale. Elle a
attiré l’attention du public sous le nom générique de « l’inefficacité de l’aide » ;
Easterly (2006) la passe en revue dans une recension influente visant une
large audience. Cette littérature montre de manière assez cohérente que l’aide
étrangère n’a pas beaucoup de succès pour promouvoir la croissance et réduire
la pauvreté dans les pays bénéficiaires. Les auteurs qui ont contribué à cet
ensemble de travaux finissent par exprimer de sévères critiques à l’encontre
de la communauté internationale, qui semble incapable de poursuivre son
objectif proclamé. Le slogan récent de la Banque mondiale : « Notre rêve : un
monde libéré de la pauvreté » semble condamné à ne rester qu’un rêve. Cette
conclusion semble défier la méthodologie usuelle de la science économique à
un niveau fondamental. Comment se fait-il que la communauté internationale
ait dépensé avec constance des milliards de dollars en aide étrangère pendant
six décennies sans qu’elle soit « efficace ». N’y a-t-il pas de mécanisme de correction d’erreur qui puisse mettre fin à ce « gaspillage massif » ? Mais cet
apparent paradoxe ne concerne qu’une petite fraction de la littérature académique sur l’aide, et n’est en fait que le fruit d’une interprétation hâtive des
résultats trouvés.
4.1 L’énigme de l’inefficacité de l’aide
La cause profonde de tout ce remue-ménage est que certains économistes ont
pris pour argent comptant les objectifs déclarés de l’aide étrangère. On a toujours proclamé que le but poursuivi était de promouvoir la croissance dans les
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cace des migrations. Morrison (1982) défend l’idée que la façon la plus prometteuse d’influencer la migration à court terme est de le faire par une politique
de promotion d’activités créatrices d’emploi et, à long terme, en réduisant la
croissance démographique et en améliorant la distribution des revenus. En
fait, pour les pays à très bas revenus, l’aide étrangère pourrait en fait augmenter à court terme les taux d’émigration, à cause d’un phénomène possible de
bosse de migration. Rotte et Vogler (2000) étudient les influences de facteurs
économiques, démographiques, et politiques sur les flux d’immigration vers
l’Allemagne en provenance de 86 pays entre 1981 et 1995, en utilisant des données de panel. Berthélemy, Beuran et Maurel (2009) estiment la détermination
simultanée de l’aide et des migrations en utilisant un échantillon transversal
de pays et un système d’équations simultanées.
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Un article souvent cité de Boone (1996) a déclenché une vague de débats
sur l’inefficacité de l’aide, en montrant qu’on ne pouvait pas trouver d’effet
significatif de l’aide sur la croissance dans des régressions transversales. Dans
un article très influent, Burnside et Dollar (2000) soutiennent avec force qu’il
faut prendre en compte l’hétérogénéité qui existe parmi les pays bénéficiaires,
pour analyser l’effet de l’aide. Ces auteurs sont partisans d’utiliser un indice
de qualité des politiques macroéconomiques comme paramètre d’hétérogénéité parmi les pays bénéficiaires. Leurs résultats suggèrent que l’aide accélère la croissance quand elle est donnée à des pays qui ont un bon cadre de
politique macroéconomique. De même, Svensson (1999) présente des résultats
de régression transversale qui montrent que l’aide est plus efficace pour accélérer la croissance dans les pays démocratiques. Dans la même veine, Kosack
et Tobin (2006) trouvent que l’aide étrangère et la démocratie ont des effets
positifs sur la croissance économique et le développement humain, pourvu
qu’il y ait déjà un niveau minimum de développement humain dans le pays
bénéficiaire. Néanmoins, le diagnostic dominant est qu’en général, à quelques
exceptions notables près, l’aide n’accélère pas la croissance. Certains auteurs
attribuent l’échec de l’aide à une conception erronée de la conditionnalité
(voir par exemple, Collier, 1997). Un certain nombre de théoriciens proposent
des solutions astucieuses pour redonner son efficacité à l’aide (Svensson,
2000, 2003, Azam et Laffont, 2003). Une autre réaction influente a été d’affirmer que l’aide est inefficace parce que son niveau est insuffisant ; il faudrait
donc une « forte poussée » pour tirer les gens hors du « piège de la pauvreté ».
Ce point de vue a été soutenu avec force par Sachs (2005), alors que Collier
(2007) adopte une variante plus subtile de cet argument.
Ces résultats et les réactions qu’ils ont entraînées soulèvent une question
méthodologique plus fondamentale : signifient-ils que l’aide est inefficace, ou
que le véritable agenda de l’aide n’est pas l’objectif ostensiblement mis en
avant d’encourager la croissance et de réduire la pauvreté ? La méthodologie
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pays bénéficiaires. Pendant longtemps, l’aide était destinée à combler le « déficit
d’épargne », c’est-à-dire à compenser le flux d’épargne supposé insuffisant qui
était censé affliger les pays pauvres. Collier (2007) suggère que le changement
d’accent survenu au cours des années 1980 et 1990, passant de la croissance
économique à la lutte contre la pauvreté, a été le résultat d’une campagne de
relations publiques visant à obtenir un soutien électoral en faveur de l’aide
étrangère sur l’ensemble de toutes les sensibilités politiques des pays riches.
Mais les économistes académiques ont rapidement commencé à donner de la
voix, en montrant qu’il n’y avait pas beaucoup de soutien empirique pour
l’hypothèse selon laquelle l’aide étrangère servait à promouvoir la croissance
ou à réduire significativement l’incidence de la pauvreté.
Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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correcte en science économique est basée sur la théorie de la préférence
révélée : au lieu d’essayer d’évaluer l’efficacité de l’aide étrangère en examinant dans quelle mesure elle atteint ses objectifs proclamés, nous devrions en
fait déduire son agenda réel à partir de ses résultats observés. Quand les gens
dépensent des milliards de dollars pendant des décennies, ils doivent bien
avoir atteint certains objectifs qui justifient de maintenir un tel flux de dépenses. Certains économistes ont donc essayé de découvrir l’agenda caché de
l’aide étrangère en analysant les déterminants de son allocation entre les pays
bénéficiaires. Leurs résultats suggèrent que l’impact de l’aide étrangère sur la
croissance et le développement n’est probablement pas le déterminant crucial
de son allocation. Par exemple, Burnside et Dollar (2000) trouvent que la qualité des politiques macroéconomiques mises en œuvre par un pays donné ne
rend pas ce pays plus susceptible de recevoir plus d’aide qu’un autre, bien
que cela la rende plus « efficace ». De même, Svensson (1999) présente une
analyse de régression transversale montrant que, bien que l’aide soit plus
efficace pour promouvoir la croissance dans les pays plus démocratiques, ces
derniers ne sont pas favorisés comme bénéficiaires. Ces résultats suggèrent
encore que l’allocation de l’aide est gouvernée par d’autres considérations,
indiquant à nouveau qu’il y a sans doute un agenda caché à côté de l’engagement généreux à réduire la pauvreté.
4.2 La préférence révélée des bailleurs de fonds
L’analyse de la dimension politique de l’allocation de l’aide est poussée un peu
plus loin par Alesina et Dollar (2000), qui trouvent que le passé colonial et les
alliances stratégiques sont les principaux déterminants du montant de l’aide
reçue par les pays pauvres. Ils montrent aussi, cependant, que dans la dimension
temporelle, la démocratisation est souvent suivie d’une aide accrue, bien qu’il
n’y ait aucun effet statique de la démocratie. Au contraire, Berthélemy et Tichit
(2004) trouvent un effet positif significatif de l’indice de liberté civile et des
droits politiques de Freedom House, dans une analyse en panel couvrant 137
pays aidés pendant la période 1980-1999. Cet effet est confirmé dans une analyse
ultérieure utilisant une autre méthode d’estimation (Berthélemy, 2006). Ces
deux dernières études mettent fortement en lumière que pour allouer leur aide,
la plupart des bailleurs de fonds bilatéraux semblent guidés par leur intérêt propre, et en particulier par leurs relations commerciales. Fleck et Kilby (2006a)
montrent que les considérations commerciales jouent un rôle important pour
déterminer l’allocation de l’aide bilatérale américaine entre les pays, et ce en
particulier quand le président ou le congrès sont conservateurs. Les résultats
rapportés par Fleck et Kilby (2006b) suggèrent que la validité de ce diagnostic
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peut être étendue au cas de la Banque mondiale, dont le comportement d’allocation de l’aide est significativement influencé par les intérêts commerciaux et
politiques américains. On peut se demander, cependant, si ces flux commerciaux
sont parfaitement exogènes, au moins en ce qui concerne les bailleurs de fonds
bilatéraux. Bien que la plupart d’entre eux aient formellement abandonné l’aide
liée vers la fin de la période d’analyse 1960-1997 qu’utilisent Fleck et Kilby
(2006a), il reste sans doute des manières implicites et subtiles de lier l’aide. De
plus, l’aide finance en partie le déficit commercial des pays en développement, et
ceci accroît probablement les importations en provenance des pays industrialisés, qui sont aussi les principaux donateurs. Cet effet est encore plus vraisemblable vers la fin de la période d’analyse, puisque la libéralisation commerciale a été
une caractéristique essentielle des programmes de réforme soutenus par l’aide
étrangère sous l’influence des institutions de Bretton Woods. Par conséquent,
une causalité en retour entre l’aide et le commerce est probablement en jeu,
transmise par divers mécanismes, de sorte que les résultats vus ci-dessus pourraient être trompeurs.
Chauvet (2002) analyse la relation entre l’allocation de l’aide entre les
pays bénéficiaires et divers types d’« instabilités sociopolitiques », se référant
à des évènements qui reflètent des troubles politiques dans ces pays. Elle en
distingue trois types : (a) l’instabilité d’élite, incluant les coups d’État, les
révolutions, et les crises gouvernementales majeures ; (b) l’instabilité violente, incluant les assassinats politiques, la présence de guérilla, et les guerres
civiles ; et (c) l’instabilité sociale, telle que les grèves, les manifestations, et les
émeutes. Elle montre que ces trois types d’évènements ont des effets différents sur l’allocation de l’aide, dépendant aussi du type d’aide. Les instabilités
de type (a) et (b) ont un effet positif, suggérant que les flux d’aide sont adressés à des gouvernements qui sont soumis à des menaces politiques, alors que
le type (c) a un effet négatif, montrant que l’aide se détourne plutôt des menaces pesant plus directement sur l’économie. Ces résultats suggèrent que les
donateurs donnent de l’aide aux gouvernements avec des motivations politiques, avec un penchant conservateur pour fournir un soutien aux gouvernements en place. Les questions économiques, telles que la croissance et la
réduction de la pauvreté, semblent jouer un rôle secondaire, puisque les gouvernements qui font face à une plus grande « instabilité sociale », reflétant
probablement le mécontentement de certains groupes face à des difficultés
économiques, sont punis d’une certaine façon en obtenant moins d’aide. Cette
ligne de recherche empirique essaie de déduire des déterminants de l’allocation de l’aide entre les pays les objectifs que les bailleurs de fonds visent réellement à atteindre, mais elle ne teste pas directement l’impact de l’aide sur ces
objectifs supposés.
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Le présent article constitue une tentative supplémentaire pour identifier
un objectif des donateurs, en testant si l’aide est en fait utilisée pour réduire
la migration en provenance des pays pauvres.
5 LES IMPLICATIONS DE L’EFFET DE L’AIDE
SUR LES MIGRATIONS
Un modèle très simple suffit pour saisir les principales questions qui se posent
au vu de la relation potentielle entre l’aide et les migrations quand les pays
riches souhaitent utiliser la politique d’aide pour réduire les flux d’immigration. Si l’aide a réellement un effet, il est vraisemblable qu’elle ait aussi des
retombées au-delà de ses objectifs immédiats. L’aide donnée par un donateur
pourrait réduire simultanément les flux d’émigration en provenance du pays
bénéficiaire en direction non seulement de ce pays donateur, mais vers d’autres
pays aussi. Ceci implique qu’un problème de passager clandestin est susceptible de se poser, à moins que les bailleurs de fonds coordonnent leur action. Le
modèle discuté ci-dessous illustre ce point.
5.1 Le modèle
Supposons qu’il y ait trois pays dans le monde : deux pays donateurs, appelés
1 et 2, dont le niveau de richesse risque d’attirer des migrants, et un pays en
développement, dont les flux d’émigrés vers chaque pays donateur sont notés
n 1 et n 2 . Les bailleurs de fonds ont la possibilité de donner de l’aide au pays
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Alesina et Weder (2002) utilisent une stratégie empirique un peu différente, étudiant directement l’effet de l’aide sur certains objectifs potentiels des
donateurs. Ils montrent que le niveau de corruption affectant le gouvernement
bénéficiaire n’affecte pas directement l’allocation de l’aide entre pays, mais
qu’il y a un effet significatif dans l’autre direction. Leurs résultats suggèrent
qu’un accroissement de l’aide cette année augmente le niveau de corruption
observé l’année d’après, ce qu’ils appellent l’« effet de voracité ». Ils concluent
donc que les bailleurs de fonds n’attachent pas d’importance à la corruption
dans le pays bénéficiaire. De la même façon, Azam et Delacroix (2006) et Azam
et Thelen (2008) étudient directement les effets de l’aide sur certains objectifs
potentiels des donateurs en tenant compte explicitement de la causalité en
retour. En utilisant une telle démarche d’économétrie structurelle, ils montrent que l’aide est efficace pour lutter contre le terrorisme, et que les bailleurs
de fonds allouent cette aide entre les pays en vue d’atteindre cet objectif.
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pauvre, dans le but de réduire le flux de migrants qui en provient. Deux mécanismes principaux peuvent expliquer pourquoi l’aide peut avoir un effet négatif sur le flux de migration. D’abord, l’aide peut participer à améliorer la
situation économique dans le pays bénéficiaire en soutenant des investissements productifs et en créant des emplois. Ensuite, l’aide peut inciter les gouvernements qui la reçoivent à dissuader l’émigration, si cette assistance est
conditionnée par l’adoption de mesures visant à en réduire le flux. Par exemple, des incitations pécuniaires peuvent être créées en faveur du retour des
migrants, réduisant par là-même le flux net, toutes choses égales par ailleurs,
ou bien des groupes plus enclins à migrer que d’autres peuvent être visés par
des mesures spécifiques. Au Mali et au Sénégal, par exemple, le groupe ethnique soninké est le plus porté à émigrer parce qu’il dispose d’une diaspora bien
établie sur laquelle il peut compter (cf. Azam et Gubert, 2006). Un projet de
« co-développement » a été mis en œuvre avec de l’argent de l’aide française,
visant à réduire l’émigration des membres de ce groupe en développant des
programmes attrayants dans leur région d’origine.
Notons a 1 et a 2 les flux d’aide provenant des pays 1 et 2, respectivement.
Supposons que le flux d’immigrants dans le pays 1 soit gouverné par la fonction suivante :
(1)
n 1 = f ( a 1, a 2, θ ) .
On suppose que les impacts des deux flux d’aide sur n 1 sont négatifs, pour
saisir la relation qui nous intéresse. L’impact négatif du flux d’aide propre au
pays est assez évident, mais l’effet croisé mérite un commentaire supplémentaire. Si l’un ou l’autre des flux d’aide a un effet positif sur le niveau d’activité
économique et la création d’emplois susceptible de réduire l’attrait de l’émigration pour les ressortissants du pays en développement, alors on ne peut
pas supposer que cela va influencer seulement le flux à destination de chaque
pays donateur pris séparément. Il y aura aussi probablement un effet débordant sur le flux vers l’autre pays. À la limite, on pourrait soutenir que c’est
seulement le flux d’aide total a 1 + a 2 , qui compte pour le flux de migrants, si
les deux flux d’aide avaient le même impact dans le pays bénéficiaire. La
spécification plus générale adoptée à l’équation (1) admet cependant qu’un
ciblage plus fin par le pays donateur soit possible, lequel peut concevoir des
politiques qui affectent principalement le flux de migration allant dans sa
direction propre. Par exemple, il pourrait cibler un groupe ethnique particulier parce qu’il est lié à une diaspora importante dans l’un des pays donateurs.
Le paramètre θ saisit l’ensemble des autres variables qui sont susceptibles
d’affecter le flux de migrants vers le pays de destination. En permutant les
indices 1 et 2, on peut facilement engendrer la fonction équivalente à l’équation (1) pour le pays donateur 2.
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L’aide contre l’immigration
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Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
Supposons alors que le pays 1 soit disposé à encourir le coût de l’aide si celleci a réellement un effet pour réduire le flux de migrants allant dans sa direction.
On saisit ceci en supposant que le pays 1 cherche à minimiser la fonction de
perte suivante :
min a1, n1 L ( a 1, n 1, λ )
(2)
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5.2 L’équilibre de Nash et les flux de migration
Si les deux pays donateurs déterminent leur politique d’aide sans se coordonner entre eux, les flux d’aide et de migration vont être déterminés par l’équilibre de Nash du jeu. C’est le concept d’équilibre le plus commun en théorie
des jeux non coopératifs, qui suppose que chaque joueur prend le choix fait
par l’autre joueur comme donné.
Figure 1 : L’équilibre de Nash et le flux d’aide optimal
La figure 1 décrit la manière dont le pays 1 détermine sa fonction de réaction a 1 ( a 2, θ, λ ) , en minimisant l’équation (2) sous la contrainte constituée
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qui est croissante et convexe par rapport à ses deux premiers arguments. Ceci
saisit le fait que l’aide implique un coût pour le pays donateur, en utilisant des
ressources fiscales, et que, pour une raison ou une autre, le gouvernement de
ce pays a le sentiment que ce dernier attire trop d’immigrants. Le paramètre
λ saisit les variables contextuelles qui sont susceptibles d’affecter la sensibilité du gouvernement vis-à-vis de l’immigration, comme des élections ou
d’autres déterminants politiques. On suppose qu’une fonction du même type
gouverne les choix faits par le pays 2.
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5.3 Pourquoi coordonner l’aide
On montre facilement que ce point d’équilibre de Nash est inefficient du point
de vue des pays donateurs. Il implique qu’un problème de passager clandestin
amène les deux pays à donner un niveau d’aide insuffisant. Les effets de
débordement de l’aide sur la migration analysés ci-dessus réduisent vraisemblablement les incitations qu’a chaque donateur à offrir de l’aide pour réduire
l’immigration. À l’équilibre de Nash, chaque joueur considère le choix d’équilibre effectué par l’autre joueur comme donné. Mais les deux joueurs pourraient obtenir un meilleur résultat en coordonnant leurs décisions d’aide de
manière à prendre en compte l’effet de débordement. L’intuition de ce résultat peut se comprendre en regardant les lignes en pointillé de la figure 1. Le
point C représente la situation résultant d’un tel équilibre coordonné, comme
on peut le démontrer par l’argument suivant. On remarque que si le donateur
N
2 accroît le flux d’aide qu’il donne par rapport à a 2 , la relation aide-immigration qui se présente au pays 1 glisse vers le bas, jusqu’à une position illustrée
*
N
par la courbe convexe en pointillé correspondant à a 2 > a 2 . Ce glissement vers
le bas reflète l’effet de débordement du flux d’aide donné par le pays 2 qui
réduit l’afflux de migrants dans le pays 1, étant donné le niveau d’aide versé
par le pays 1. Alors, dans l’équilibre coordonné, le donateur 1 va lui aussi aug*
N
menter son aide comme le donateur 2, en un point tel que C , où a 1 > a 1 . Le
point C est situé sur une courbe d’indifférence plus basse que le point N , correspondant donc à une valeur plus faible de la fonction de perte (2), de sorte
que le donateur 1 préfère cet équilibre coordonné à celui de Nash. Ce gain survient malgré le fait que le donateur 1 dépense plus d’argent en aide, parce
qu’il reçoit un flux de migrants plus faible en retour. Un diagramme semblable pourrait être tracé pour le pays 2.
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par l’équation (1), en prenant a 2 , θ , et λ comme donnés. La courbe convexe
représente la relation entre l’aide et l’immigration (équation 1), en supposant
N
que le flux d’aide choisi par le pays 2 est à son niveau d’équilibre de Nash a 2 .
La convexité supposée de la courbe saisit l’idée que l’aide a un impact marginal décroissant sur l’afflux de migrants, de sorte que même un niveau très
élevé d’aide ne pourrait pas réduire leur nombre à zéro. Dans ce cas le donaN
teur 1 va choisir son flux d’aide d’équilibre a 1 au point où une courbe d’indifférence de la fonction de perte (2), représentée par la courbe concave, est
tangente à la relation entre l’aide et l’immigration. Le point d’équilibre qui en
résulte, marqué N à la figure 1, représente le choix simultané du niveau
N
N
d’aide a 1 et du flux de migration n 1 fait par le pays 1 à l’équilibre de Nash,
N
étant donné le flux d’aide d’équilibre a 2 choisi par le pays 2. Un diagramme
semblable pourrait évidemment être tracé pour le pays 2.
Jean-Paul Azam, Ruxanda Berlinschi
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La figure 1 suggère aussi qu’un tel équilibre coordonné requiert une capacité d’engagement irréversible fortement crédible pour surmonter la tentation de tricher a posteriori. Une fois que le joueur 2 a engagé a *2 , de sorte que
la relation aide-migration a glissé vers le bas jusqu’à la position marquée en
pointillé f ( a 1, a *2, θ ) , le joueur 1 est tenté de réduire sa propre contribution en
glissant vers la gauche le long de cette relation de façon à atteindre une
courbe d’indifférence de sa fonction de perte encore plus basse, par exemple le
˜ . S’il anticipait une telle réaction, le joueur 2 pourrait alors être dispoint N
suadé d’accroître son flux d’aide pour commencer. C’est l’essence même du
problème de passager clandestin, bien connu par beaucoup sous la forme du
« dilemme du prisonnier ». Les deux pays donateurs doivent avoir une façon
crédible de se lier les mains s’ils veulent mettre en œuvre un tel équilibre
coordonné. En fait, on peut observer dans le monde réel que la communauté
des bailleurs de fonds fait beaucoup d’efforts pour rendre crédibles ses promesses de contribution, en utilisant toute une série de méthodes allant de la
définition internationale des Objectifs de Développement du Millénaire
jusqu’à la création de groupes de pression très dépendants de l’aide dans leur
propre pays (peut-être en liant leur aide au profit de certaines entreprises
puissantes ou en créant une administration de l’aide pléthorique). Néanmoins, à moins de supposer que les pays donateurs coordonnent parfaitement
leurs politiques d’aide pour réduire les flux d’immigration, ce problème de
passager clandestin suggère que les flux d’aide que nous observons dans le
monde réel sont potentiellement inférieurs à leurs valeurs optimales.
Cette courte analyse théorique des implications de la relation aide-migration repose entièrement sur l’hypothèse qu’il existe bien un tel effet dans le
monde réel, et qu’il y a vraisemblablement des effets de débordement tels que
l’aide donnée par un pays affecte les flux de migrants à destination d’autres
pays. L’analyse économétrique qui suit vise à tester si ces deux hypothèses
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