silesr2017 012 Paloor au Sénégal, sa vitalité estelle en déclin ? | SIL International

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Electronic Survey Report 2017-012

Paloor au Sénégal,
sa vitalité est-elle en déclin ?

Christina Thornell

Paloor au Sénégal,
sa vitalité est-elle en déclin ?
Christina Thornell
en collaboration avec
Marie Diouf
Mamadou Diouf
Ibrahima Ciss
Abdoulaye Diouf
Fatou Diouf

SIL International®
2017


SIL Electronic Survey Report 2017-012, Décembre 2017
© 2017 SIL International®
Tous les droits sont réservés

Abstract
The present study focuses on the vitality of Senegalese language Paloor (ISO 639-3, [fap]). It is spoken
by the ethnic group having the same name, composed of about 20,000 people. It is traditionally an oral
language. L’Association des Paloor pour le Développement thinks that it is probable that the language is
among the languages spoken in a multilingual environment in Senegal that will disappear. One reason
for this is that French is the official language and the lingua franca Wolof penetrates everywhere. Lewis,
Simons and Fenning (2016) agree, maintaining that the Paloor language is a threatened language.
However, this view is not based on a study in the field. There is no such study, which justifies the
present study. The results will indicate if the Paloor language needs to be revitalized and, if so, in what
way.
The study is carried out within the framework of the “Language Vitality and Endangerment Scale”
elaborated by UNESCO (2003). This framework proposes nine factors that influence the vitality of a
language. All nine factors are taken into account. However, their influence varies. The first factor, the
intergenerational transmission of the language, is the strongest one. Without transmission, there will be
no speakers in the younger generation. Without speakers, there will be no Paloor language. The results

will show to what degree and in what domains the vitality of the Paloor language has decreased.
Moreover, based on the results, it will be possible to develop an action plan for its revitalization, using a
number of measures suggested by UNESCO.
The data were collected by means of a sociolinguistic survey carried out in the Paloor region in
2009. They have been gradually updated as the analysis has evolved. The analysis was completed in
2014.
The results indicate that the vitality of the Paloor language is in danger (according to the UNESCO
scale), meaning that its vitality is at an even lower level than Lewis, Simons and Fenning (2016) suggest.
Nonetheless, it is not too late to revitalize the language according to the UNESCO framework.

Résumé
Cette étude est centrée sur la langue paloor au Sénégal (ISO 639-3, [fap]), plus précisément sur sa
vitalité. La langue est à tradition orale et elle est parlée par le groupe ethnique avec le même nom, qui
compte environ 20 000 personnes. 1 L’Association des Paloor pour le Développement estime que cette
langue risque de faire partie des langues au Sénégal qui ont tendance à disparaître dans leur situation
multilingue, une des raisons étant que le français est la langue officielle et que la lingua franca wolof
pénètre partout. Lewis, Simons, et Fenning (2016) maintiennent que le paloor est une langue menacée
(threatened) bien que ce point de vue ne soit pas basé sur une étude approfondie. Étant donné qu’il n’y a
pas de telle étude effectuée, cette initiative ici se trouve motivée. Le résultat de cette étude indiquera si
le paloor aura besoin d’être revitalisé et dans ce cas de quelle manière

Cette étude approfondie est réalisée dans le cadre du modèle de l’UNESCO (2003), 2 qui propose neuf
facteurs influençant la vitalité d’une langue. Leur influence varie. Le premier facteur sur la transmission
de la langue d’une génération à une autre est cependant le plus fort. Sans transmission, il n’y aura pas de
locuteurs de la jeune génération. Sans locuteurs, il n’y aura pas de langue paloor. Tous les neuf facteurs
sont étudiés. Ainsi, le résultat montrera à quel degré et dans quels domaines la vitalité du paloor a
diminué. À compter de ce résultat, il sera également possible d’élaborer un plan d’action pour sa
revitalisation à travers un nombre de mesures suggérées par l’UNESCO.

1

L’étude est réalisée dans le cadre de la coopération entre l’association locale l’Association des Paloor du
Développement (ASPAD) au Sénégal et Folk & Språk (Wycliffe en Suède). Nous sommes très reconnaissants envers
les bailleurs de fonds Swedish International Development Cooperation Agency (Sida) à travers Swedish Mission
Council, et Pingstkyrkan (l’Assemblée de Dieu) à Lund en Suède et SIL-Sénégal.
2
UNESCO = United Nations Educational Scientific and Cultural Organization.

L’étude est basée sur une enquête sociolinguistique effectuée en 2009 et les données collectées ont
été mises à jour au fur et à mesure que l’analyse a évolué. Cette analyse a été achevée en 2014.
Le résultat indique que la vitalité de cette langue se trouve en danger (selon le modèle de

l’UNESCO), ce qui signifie qu’elle se situe à un degré encore plus inférieur. Cependant, il n’est pas trop
tard pour sauvegarder le paloor selon le modèle de l’UNESCO.

Table des matières
1
2

3

4
5

6

Introduction
Arrière-plan
2.1 Le territoire paloor, ses villages et ses populations
2.2 Ressources naturelles et activités économiques
2.3 Le nombre des Paloor
2.4 L’âge de la population

2.5 La situation sociolinguistique
2.6 Les dialectes paloors
Modèles d’analyse de la vitalité des langues
3.1 Introduction
3.2 Les degrés de vitalité d’une langue
3.3 La revitalisation d’une langue
Les données de l’étude
La vitalité du paloor
5.1 Facteur 1 : La transmission du paloor d’une génération à une autre
5.1.1 L’échelle sur le facteur 1
5.1.2 La compétence du paloor et la transmission de cette langue
5.1.3 Conclusion : La transmission intergénérationnelle du paloor
5.2 Facteur 2 : Le nombre absolu de locuteurs paloor
5.3 Facteur 3 : Le taux de locuteurs sur l’ensemble de la population
5.4 Facteur 4 : L’utilisation du paloor dans les domaines publics et privés
5.4.1 L’échelle du facteur 4
5.4.2 L’utilisation des langues dans les domaines publics paloor
5.4.3 Les domaines sociaux
5.4.4 Les domaines familiaux
5.4.5 Conclusion de l’utilisation du paloor

5.5 Facteur 5 : Les réactions face aux nouveaux domaines et médias
5.5.1 L’échelle du facteur 5
5.5.2 L’utilisation du paloor dans les nouveaux domaines
5.5.3 La modernisation du vocabulaire ; exemples
5.5.4 La modernisation du vocabulaire paloor
5.5.5 La revitalisation du paloor par rapport au vocabulaire
5.6 Facteur 6 : Les matériels d’apprentissage et d’enseignement du paloor
5.7 Facteur 7 : Les attitudes et les politiques linguistiques au niveau du gouvernement et des
institutions – l’usage et le statut officiels
5.7.1 L’échelle du soutien du gouvernement et des institutions
5.7.2 Le soutien linguistique du gouvernement sénégalais au paloor
5.8 Facteur 8 : L’attitude des membres de la communauté paloor vis-à-vis de leur propre langue
5.8.1 L’échelle d’évaluation des attitudes des locuteurs envers leur propre langue
5.8.2 Les attitudes des Paloors envers leur propre langue
5.8.3 Conclusion
5.9 Facteur 9 : Le type et la qualité de la documentation
5.9.1 L’échelle sur la nature de la documentation linguistique
5.9.2 L’évaluation de la documentation sur le paloor
5.9.3 Conclusion de la documentation sur le paloor
Conclusion et discussion

6.1 La vitalité du paloor
6.2 La revitalisation du paloor

iv

v
Appendice A : Carte sur la commune rurale de Keur Moussa et la commune de Pout
Appendice B : Enquête sociolinguistique sur le paloor
Appendice C : Enquête de l’étude de base
Appendice D : Résultats de l’étude de base du paloor
Appendice E : Vue d’ensemble de la vitalité du paloor
Bibliographie

1

Introduction

L’étude est centrée sur la vitalité de la langue sénégalaise paloor pour déterminer si elle est menacée ou
pas. 3 La langue est à tradition orale. Sa vitalité est menacée selon Lewis, Simons et Fennig (2016) et elle
est vulnérable selon Moseley (2010). Déjà D’Alton (1987, 20) a trouvé que « ce parler est menacé de

disparition à plus ou moins brève échéance … ». Pourtant, à notre connaissance, une étude approfondie
sur la vitalité de cette langue n’a pas été effectuée. Une telle étude est donc motivée, car elle va donner
des suggestions sur les possibilités de revitalisation de la langue.
Le paloor est surtout parlé dans la commune rurale de Keur Moussa autour de la ville Pout dans le
nord-ouest de la République du Sénégal et par le groupe ethnique portant le même nom. Voir la carte 1
sur laquelle la commune de Keur Moussa est marquée par un point rouge.
Carte 1. Le Sénégal et la commune rurale de Keur Moussa*

*Source : Article Sénégal de Wikipédia en français :
http://fr.wikipedia.org/wiki/ S%C3%A9n%C3%A9gal.
Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 3.0.

Le groupe paloor comprend 12 000 personnes selon Lewis, Simons et Fennig (2016) et environ
22 000 selon notre étude basée sur le recensement de la commune rurale de Keur Moussa en 2007. 4
Donc, la langue est minoritaire. Le nombre est discuté plus en détail dans le paragraphe 2.3. Les Paloor
s’aperçoivent que leur langue est en train de disparaître en faveur du wolof et le résultat de notre étude
le montre également. Il y a déjà des villages paloor wolofisés.

3


Le nom est souvent écrit avec un seul < o > alors que les Paloor prononcent la voyelle longue [ palo:r ]. La
décision d’écrire < paloor > avec une longue voyelle a été prise dans un atelier où l’Association des Paloor pour le
Développement (ASPAD) avec leur équipe linguistique et la Direction de l’Alphabétisation et des Langues Nationales
(DALN) qui ont préparé le dossier de la codification de la langue paloor, le 13 septembre 2012. Désormais, le nom
doit être écrit < paloor >.
4
Le chiffre du nombre des Paloors dans Lewis et al. (2016) est donné par J. Leclerc (2015).

1

2
Le paloor est l’une des 38 langues du Sénégal, parmi lesquelles le wolof est plus dominant et la
lingua franca la plus répandue (Lewis et al.). La majorité de Sénégalais parle cette langue soit en tant que
première langue soit en tant que deuxième langue. Le wolof a été la première langue codifiée en 2001.
Cela signifie que l’orthographe du wolof a été reconnue par la Direction de l’Alphabétisation et des
Langues Nationales et qu’également le wolof a depuis lors la fonction de langue nationale. Comme
langue nationale, hormis d’être employée dans des interactions quotidiennes, le wolof est employé dans
les médias, les tribunaux, et l’éducation et par le gouvernement. Par contre, le paloor a été reconnu
comme langue nationale en devenant codifié récemment, à savoir le 13 septembre 2012. 5 Pourtant en ce
qui concerne la codification, cette langue n’est pas encore ratifiée par un décret. C’est seulement quand

le décret est sorti que l’orthographe est fixée. Actuellement, l’orthographe suggérée lors de la codification
est utilisée. Voir les paragraphes 2.5 et 5.4.
Linguistiquement, le paloor est classé parmi les langues atlantiques de la famille Niger-Congo, plus
précisément, la branche sénégambienne et son sous-groupe cangin. Voir par exemple Wilson (1989 : 88).
En plus du paloor, les langues cangin comprennent le ndut, le saafi-saafi, le laalaa et le noon. 6 Pour les
zones géographiques de ces langues, voir la carte du Sénégal dans l’Ethnologue. 7 Le groupe ethnique
paloor lui-même se nomme souvent siili, et il se dit parler le siili. 8 D’autres emploient les noms waro,
falor et sili-sili.
Parmi les langues cangin, le paloor et le ndut sont les langues les plus proches linguistiquement
(Williams et al., 1987). La proximité géographique avec le saafi-saafi produit une certaine influence
lexicale. Le paloor comprend les deux dialectes kajoor et ba’ol, dont le kajoor domine en termes de
population. Les différences entre les deux dialectes sont mineures et se situent particulièrement au
niveau de certains sons. Il y a des mots dans lesquels le kajoor utilise [d] à l’initiale du mot mais le ba’ol
utilise [r]. Le kajoor emploie [o] dans quelques mots où le ba’ol emploie [a]. Pour plus de détails, voir le
paragraphe 2.6.
L’UNESCO (2003) sert de modèle pour cette étude. Il présente neuf facteurs fondamentaux pour
déterminer le degré de vitalité d’une langue. Il donne également des suggestions pour revitaliser une
langue. Lewis et Simons (2010) ont même élaboré un modèle sur des processus de la revitalisation.
L’étude se base surtout sur des données sociolinguistiques collectées en 2009 par des enquêteurs qui
faisaient partie de l’équipe linguistique de l’Association des Paloor pour le Développement (ASPAD). 9 Les

données sont mises à jour au fur à mesure que l’étude et l’analyse évoluent. L’étude de base (Diouf,
2013) et celle de D’Alton (1987) sont également prises en considération.
L’étude présente la disposition suivante : un arrière-plan du contexte paloor est présenté pour mieux
comprendre les raisons de sa position de vitalité ; le modèle pour l’analyse est discuté et les données
collectées sont décrites. Les facteurs essentiels pour la vitalité d’une langue sont appliqués un à un à la
situation paloor et l’effet d’influence de chaque facteur est déterminé. En conclusion, une vue d’ensemble
de ces neuf facteurs et de leurs effets sur la vitalité du paloor est donnée et ensuite des suggestions sur la
revitalisation ont été présentées.

2

Arrière-plan

Pour mieux comprendre les facteurs qui influencent la vitalité de la langue paloor et les processus de sa
disparition, il est important de faire connaître le cadre de vie des locuteurs. Parmi les aspects
fondamentaux, il y a la région géographique, les ressources naturelles accessibles, les activités

5

Le paloor est la vingt-et-unième langue sénégalaise à être codifiée.
L’orthographe appliquée est celle proposée par le groupe ethnique lui-même.
7
Lewis, M. Paul, Gary F. Simons, and Charles D. Fennig (eds). 2016. Ethnologue: Languages of the world. Senegal and
the Gambia. Nineteenth edition. Dallas, Texas : SIL International. Version en ligne :
http://www.ethnologue.com/map/SNGM, téléchargé 21-07-2016.
8
Sérère en français.
9
Nous voulons remercier toutes les personnes qui ont participé à l’enquête en partageant leur environnement privé
sur l’utilisation de la langue.
6

3
économiques et l’information sur le peuple aussi bien en termes de tranches d’âge que de situation
sociolinguistique.
2.1

Le territoire paloor, ses villages et ses populations

Le peuple paloor habite surtout dans la commune rurale de Keur Moussa qui fait partie du département
de Thiès au nord-ouest du Sénégal. Voir la carte 1 et pour une carte plus détaillée, voir l’appendice A. 10 Il
est à noter que la ville de Pout située au centre du pays paloor constitue une commune à part. Le nombre
d’habitants est estimé à environ 18 595 personnes en 2007 (Wikipedia 2013), 11 dont un faible nombre est
paloor. Cette ville a une influence sur toute la région paloor parce que la commune est en pleine
expansion en tant que centre administratif, économique et scolaire où entre autres se trouvent un lycée,
trois collèges et un grand nombre d’écoles primaires.
Le territoire paloor est divisé par le chemin de fer et la route nationale no 2 qui traversent la région
d’est en ouest. Le chemin de fer n’a pas de grande utilité pour la population paloor. En dehors de la gare
de Pout, il n’y a pas de gare dans la région paloor proprement dite. Par contre, la route nationale qui est
la liaison de communication la plus importante entre Dakar et le nord du Sénégal est à grande
circulation.
En plus d’une population paloor dominante dans la commune rurale de Keur Moussa, il y a des
villages wolofs, peuls et des villages à population mixte, soit paloor et wolof soit paloor et saafi. La
population paloor habite surtout au sud de la route nationale et du chemin de fer, alors qu’au nord de
cette route et du chemin de fer, les villages sont d’origine wolof ou bien ils sont wolofisés.
Tableau 1. Les villages de la commune rurale de Keur Moussa du point de vue du groupe ethnique
Villagesa
L’orthographe française
Darah Peulh
Gap
Gualaned
Guer
Kathialick
Kayol
Kessoukhate
Keur Guilayed
Keur Moussad
Keur Ségad
Keur Yakhamd
Keur Youssoud
Khaye
Khinine
Khodaba
Landou
10

L’orthographe paloor
Gaaɓ
Ger
Kéecalik (ba’ol)
Kaacalik (kajoor)
Kayol
Kisaaɗ

Faam Youssou
Hay
Hínin
Hodow
Lóoru

Groupes ethniques selon
L’étude (2009)
D’Alton (1987)b
peul
paloor (kajoor)c
paloor
peul
paloor (kajoor)
paloor
paloor (ba’ol)c
paloor (kajoor)
paloor (ba’ol)
wolof
wolof
wolof
wolof
paloor (kajoor) +
wolof
paloor (kajoor)
paloor (kajoor)
paloor (kajoor)
paloor (ba’ol)

paloor
paloor + saafib





paloor
paloor
paloor
paloor

La carte à l’appendice A se base sur Google Earth, Paula D’Alton (1987), sur l’information donnée par les assistants
de ce projet et au cours des voyages effectués par Christina Thornell dans la commune. La plupart des
agglomérations mentionnées dans le tableau 1 sont situées dans la carte. Cependant leur emplacements ne sont pas
exactement conformes à leurs coordonnées géographiques.
11
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pout_(Sénégal), téléchargé 02-04-2014.

4
Villagesa
L’orthographe française
Lélo
Lène
Mbadat
Mbirdiam (Km 50)
Mboul
Ndeuyed
Ndiakhate
Ndoyèned
Ngomèned
Niakhip
Palal
Sagnafil
Santhiabad Thiekène,
Keur Seydoud, f
Santhie Sérère
Seune Sérère
Soune Sérère
Thiambokh
Tougouni
Touly
Wojad
Yade

L’orthographe paloor
Leelu
Leen
Barit/Barat (ba’ol et
kajoor)
Suluf et Sadok
Bul
Njahat

Ñeheɓ
Palal
Seeñfi

Sanca (Tago inclu)
Sén
Súun
Camwoh
Tuguni
Tuuli
Wojad

Groupes ethniques selon
L’étude (2009)
paloor (kajoor)
paloor (ba’ol)
paloor (ba’ol)
paloor (kajoor) +
saafi4
paloor (kajoor)
wolof
paloor (kajoor)
peul
wolof
paloor
paloor (kajoor)
paloor (kajoor)
non-paloor (wolof en
majorité)
paloor (kajoor)
paloor (kajoor)
paloor (ba’ol)
paloor (ba’ol) + saafie
paloor (kajoor)
paloor (ba’ol)
paloor + wolof
wolof + peul

D’Alton (1987)b
paloor
paloor

paloor + saafi
paloor

paloor


paloor
paloor
non-paloor
paloor

paloor
paloor + saafi
paloor + saafib
paloor + saafib
paloor
non-paloor

a

Les villages sont rangés dans l’ordre alphabétique.
D’Alton (1987) thèse de doctorat défendue en 1983.
c
Paloor se compose de deux groupes : kajoor et ba’ol.
d
Les noms sont wolofs ou peuls. Ce sont de vieux villages. Keur Youssou est d’origine paloor et les Wolofs sont
arrivés plus tard. Les autres villages sont d’origine wolof sauf Darah Peulh qui est un village peul.
e
Actuellement environ 600 saafi habitent à Mbirdiam (Km50) et Thiambokh.
f
Ces villages faisaient auparavant partie de la commune rurale de Keur Moussa mais aujourd’hui ils sont
incorporés à la commune de Pout.
b

La population paloor habite dans 26 des 36 villages de la commune selon notre enquête
sociolinguistique en 2009. Parmi ces villages paloor, sept se trouvent au nord du chemin de fer et de la
route nationale, et 19 villages sont localisés au sud de ce chemin de fer et de cette route. Une vue
générale sur les villages de la commune traditionnellement considérés comme paloor d’un point du vue
d’appartenance ethnique est donnée dans le tableau 1. Les noms sont écrits avec l’orthographe de la
langue officielle française et en paloor suivant la codification du 13 septembre 2012. Pour chaque
village, le groupe ethnique qui est en majorité est indiqué.
En plus de notre enquête sociolinguistique effectuée en 2009, l’étude tient compte de celle de
D’Alton (1987). Cependant cette étude de D’Alton est surtout concentrée sur les villages paloor, ce qui
rend une comparaison complète impossible du fait que notre étude inclut à la fois les villages paloor et
non-paloor de la commune.
Les deux études montrent une concordance sur la plupart des villages paloor, à savoir Gap, Guer,
Kayol, Khaye, Khinine, Khodaba, Landou, Lélo, Lène, Mbirdiam (Km 50), Mboul, Palal, Sagnafil, Santhie
Sérère, Soune Sérère, Thiambokh, Tougouni, Touly, Kessoukhate, Ndiakhate et Wojad. De plus, nous
trouvons dans notre étude que les Paloor habitent à Kathialick, Mbadat, Keur Youssou, Seune Sérère et

5
Niakhip, alors que l’étude de D’Alton ne mentionne pas ces villages. Ces villages sont d’origine paloor et
ils le sont toujours, sauf Keur Youssou qui a une population mélangée avec des Wolofs aujourd’hui. Selon
D’Alton, le village de Wojad est habité par les Paloor, alors que notre étude révèle qu’il est également
habité par des Wolofs. De même, la population de Keur Youssou est composée par des Wolofs et des
Paloor. La comparaison des deux études sur Wojad indique une certaine influence du wolof sur la région
pendant les dernières décennies. Par contre, rien ne peut être conclu en ce qui concerne l’influence wolof
sur Keur Youssou étant donné qu’il manque des données dans D’Alton. Ces deux villages sont au nord du
chemin de fer et de la route nationale.
Il y a d’autres villages avec une population mixte. Ce sont Mbirdiam et Thiambokh où la population
paloor est mélangée avec des Saafi. De plus, D’Alton soutient qu’il y a un groupe saafi dans Tougouni,
Touly et Kessoukhate mais notre enquête en 2009 ne comprend pas de telles données. Notre étude a
trouvé des populations mélangées avec des Saafi dans les villages Mbirdiam et Thiambokh. Ceci est
évident étant donné que ces villages se trouvent près du territoire saafi.
Des villages traditionnellement wolofs et ceux qui restent wolofs sont Ndéuye, Ngomène, Keur
Guilaye, Keur Moussa, Keur Séga et Keur Yakham. Tous se trouvent au nord de la route nationale et du
chemin de fer. De plus, les Wolofs sont en majorité à Santhiaba, Thiekène et Keur Seydou. Auparavant
ces villages faisaient partie de la commune rurale de Keur Moussa mais actuellement ils font partie de la
commune de Pout.
Les villages peuls sont Darah Peulh, Gualané et Ndoyéne qui se trouvent également au nord de la
route nationale et du chemin de fer.
Il est évident que les Paloor sont plus concentrés au sud du chemin de fer et de la route nationale.
La population est beaucoup plus homogène que dans le nord du territoire. À présent ladite situation est
en train de changer pour la raison qu’un nouvel aéroport international est en construction. L’aéroport
impliquera que des emplois seront offerts et des entreprises vont s’établir dans le territoire ; de ce fait
beaucoup de personnes seront amenées à s’y installer. Beaucoup de terrains sont déjà vendus. Il est
certain que la grande majorité parmi les nouveaux propriétaires ne sont pas des Paloor. Ce changement
de la démographie amène une menace sur la vitalité du groupe paloor ainsi que sur la langue paloor.
2.2

Ressources naturelles et activités économiques

Les ressources naturelles du territoire paloor se composent de leur terre riche en phosphate exploitée
industriellement aussi bien sur leur territoire que sur les territoires avoisinants. Leur terre est
extrêmement fertile pour la culture, et elle représente une des meilleures terres du pays. Par tradition, la
population est liée à l’agriculture. Pourtant, cette activité économique perd de plus en plus d’importance
pour des raisons de changements climatiques. Les précipitations pluvieuses tombent irrégulièrement et,
durant les dernières années, les pluies ont été rares. Pourtant, en général il n’y a pas d’accès à
l’irrigation. Par conséquent, les récoltes sont faibles et de ce fait la culture ne peut pas représenter la
seule source de revenus pour la plupart des gens. La période de culture se restreint à trois mois par an et
la population a donc besoin d’avoir d’autres revenus durant le restant de l’année.
La plupart des hommes adultes vont à Dakar ou dans d’autres villes pour travailler. Les jeunes s’en
vont pour étudier ailleurs. Ceux qui travaillent ou qui font leurs études à Pout, à Thiès ou dans d’autres
agglomérations près de leur village retournent chaque soir chez eux. Par contre, ceux qui travaillent à
Dakar font souvent la navette hebdomadaire. Ce sont les femmes adultes, les personnes âgées, hommes
comme femmes, ainsi que les enfants, qui restent au village. Les femmes restent au foyer ou font du
commerce. Elles vendent des produits agricoles et viviers. À Soune Sérère la marchandise se compose de
certaines feuilles cueillies provenant de la forêt classée de Thiès et à Santhie Sérère.
Les activités économiques qui viennent d’être décrites à grands traits influencent l’utilisation des
langues. Voir le paragraphe 5.4 « Facteur 4 : L’utilisation du paloor dans les domaines publics et privés ».
2.3

Le nombre des Paloor

Il est difficile de déterminer le nombre de personnes paloor pour plusieurs raisons. Le nombre de
personnes appartenant à un groupe ethnique particulier n’est pas indiqué dans les recensements

6
sénégalais. Lewis et al. (2016) indiquent que le groupe paloor est composé de 12 000 personnes, mais
sans préciser si le nombre comprend les personnes d’identité paloor ou s’il se restreint aux locuteurs
paloor. Dans notre étude nous considérons l’identité paloor. Cela est effectué sur la base de la
démographie du territoire paloor selon le recensement de la commune rurale de Keur Moussa en 2007.
Ce recensement considère l’identité paloor toute personne qui se dit être paloor. Une comparaison est
faite avec le nombre suggéré par D’Alton (1987). Voir le tableau 2. Il est à regretter que les données des
deux sources ne soient pas complètes. Le nombre d’habitants de Kathialick, Mbadat, Keur Youssou et
Wojad manque dans les deux recensements. De plus, le nombre d’habitants à Ndiakhate et à Niakhap
manque dans D’Alton, et dans notre enquête il n’y avait pas le nombre d’habitants pour le village Guer.
Les nombres donnés par D’Alton datent du recensement fiscal de 1971 et du recensement national
des Nations Unies (D’Alton, 9). 12 D’Alton signale qu’il est probable que le nombre du recensement de
1971 est inférieur à la réalité. Lors des recensements fiscaux, les pères de famille ont choisi de dissimuler
le nombre exact de leur foyer afin d’avoir à payer moins d’impôts. Selon D’Alton, cela peut compenser
pour les 600 Saafi habitant aux villages paloor. 13 Nous ne sommes pas d’accord avec D’Alton, puisque
notre enquête révèle qu’il n’y a pas de Saafi aux villages Kessoukhate, Tougouni et Touly. Le chiffre
9 714 semble plus correct comme ordre de grandeur et il correspond assez bien au chiffre 12 000 donné
par Lewis et al. (2016).
Tableau 2. Le nombre d’habitants des villages paloors
Villages
L’orthographe française
Gap
Guer
Kathialick
Kayol
Kessoukhate
Keur Youssou
Khaye
Khinine
Khodaba
Landou
Lélo
Lène
Mbadat
Mbirdiam (Km 50)
Mboul
Ndiakhate
Niakhip
Palal
Sagnafil
Santhie Sérère
Seune Sérère
Soune Sérère
12
13

L’orthographe paloor
Gaaɓ
Ger
Kéecalik (ba’ol)
Kaacalik (kajoor)
Kayol
Kisaaɗ
Faam Youssou
Hay
Hínin
Hodow
Lóoru
Leelu
Leen
Barit/ Barat (ba’ol et
kajoor)
Suluf et Sadok
Bul
Njahat
Ñeheɓ
Palal
Seeñfi
Sanca (Tago inclu)
Sén
Súun

Recensement fiscal de 1974 selon D’Alton (1987).
L’appellation française est safen.

Nombre d’habitants selon le recensement de
1982
2007a
271
698
42
?
?
?
263
961
?
345
368
632
482
426
202
?

833
1 777
?
819
1 095
1 362
1 302
934
440
?

675
600

?
444
751
616
288
717

1 473
1 535 (2 115)b
183
784
959
1 436
1 705
185
1 927

7

Villages
L’orthographe française
Thiambokh
Tougouni
Touly
Wojadc

L’orthographe paloor
Camwoh
Tuguni
Tuuli
Wojad
Total

Nombre d’habitants selon le recensement de
1982
2007a
285
620
166
506
?
2 142


9 714
22 715

a

Recensement national de l’année 2007 (communication personnelle avec Momar Pouye, 2ème vice-président
de la commune rurale de Keur Moussa).
b
2 115 selon le chef du village (communication personnelle avec Abdourahmane Diouf, avril 2009).
c
Fait aujourd’hui partie de la commune de Pout.

Nos données proviennent d’un recensement effectué une quarantaine d’années plus tard, à savoir en
2007. Selon ce recensement, il y a au total 38 871 habitants dans la commune rurale de Keur Moussa, où
le nombre de la population paloor et saafi compte 22 715 habitants selon le calcul du tableau 2. 14 La
majorité des villages paloor qui ont été énumérés ont une population homogène indiquée selon le
tableau 1. Les femmes des peuples wolof, saafi et diola qui sont mariées aux hommes paloor sont
considérées comme des Paloor aussi bien dans la société que dans le recensement. Les gens de la
banlieue y sont compris. Pour obtenir le nombre de Paloor, les 600 Saafi qui habitent dans la commune
doivent être enlevés du nombre, ce qui donne un nombre de 22 115 personnes.
Une comparaison entre le nombre de la population paloor comptant 9 714 personnes selon D’Alton
(1987) et le nombre du recensement en 2007 montre un accroissement du nombre de la population
paloor pendant les dernières décennies. Cela contredit ce que Lewis et al. (2016) indiquent, c-à-d que le
nombre de la population n’a augmenté que peu.
Les principales raisons sociales pour l’accroissement du nombre de la population paloor sont les
suivantes :
L’intermariage. L’intermariage est à présent très courant, surtout des mariages avec les Wolofs, les
Saafis, les Sérères-Sines et les Diolas. Une fois mariées, les femmes deviennent Paloor et apprennent la
langue.
L’augmentation du taux de naissance et la baisse de la mortalité infantile. Des campagnes nationales
sur la lutte contre la mortalité maternelle et infantile initiées par le gouvernement ont eu lieu dès le
début des années 1980. Le résultat montre que le taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans
(pour 1 000 naissances vivantes) a baissé de 139 enfants en 1990 à 75 enfants en 2010 au Sénégal
(PNUD, 2012). Globalement, cette amélioration pour le Sénégal est probablement valable pour les Paloor
également. L'espérance de vie à la naissance était exprimée par l’indice 0.431 en 1980 et indique une
croissance continuelle jusqu’à 0.625 en 2012 (ibid.). 15
L’augmentation de l’espérance de vie. Habituellement, les gens vivent aujourd’hui plus longtemps
qu’auparavant. En 1980, l’espérance de vie était de 47.3 ans pour le Sénégal alors que 30 ans plus tard,
en 2012, elle était de 59.6 ans (ibid.). Les conditions de vie sont une raison de cette amélioration. Il y a
de l’eau potable, un meilleur accès aux soins médicaux et des ressources alimentaires plus favorables. Les
connaissances en matière d’organisation de la vie en général ainsi que de la vie familiale se sont accrues
et contribuent à l’augmentation de la durée de vie.
Même si le nombre des Paloor a augmenté pendant les dernières décennies, le nombre est faible par
rapport au nombre de la population entière du Sénégal qui comprend au total 12 873 601 personnes
(ANSD, 2014). Cela signifie que le taux de la population paloor atteint à peine 0,2 % de toute la
population sénégalaise. Ainsi, le groupe paloor représente un peuple minoritaire au Sénégal.
Il est à noter que même dans son territoire traditionnellement regardé comme paloor, le groupe
paloor n’est pas en grande majorité. Basée sur le recensement de 2007, une estimation indique que le
groupe paloor représente 60 % de la population totale de la commune rurale de Keur Moussa ; le restant,
soit 40 %, comprend surtout des Wolofs et des Peuls. Voir le tableau 3. Cette position dominante du
14
15

L’information vient de la Mairie de Keur Moussa en 2009.
Un indice utilisant une valeur minimale de 20 années et la valeur maximale observée entre 1980 - 2010.

8
groupe paloor, même si elle n’est pas grande, ne va pas durer très longtemps étant donné la situation
socio-économique de la région. La construction actuelle du nouvel aéroport est déjà en train de changer
cette situation.
Tableau 3. Le nombre d’habitants de la commune rurale de Keur Moussa*
Population des villages
Les villages paloor
Les villages non-paloor (les 600
Saafi inclus)
Commune rurale de Keur Moussa

Nombre
22 115
14 761

Pourcentage
60 %
40 %

36 876

100 %

* Le recensement de 2007.

2.4

L’âge de la population

Il serait souhaitable d’avoir des statistiques sur les tranches d’âge du groupe paloor, mais, à notre
connaissance, de telles statistiques n’existent pas. Nous présumons cependant que les tranches d’âge de
ce groupe sont les mêmes que celles de toute la population sénégalaise. La population sénégalaise est
caractérisée par son importante jeunesse selon toutes les sources statistiques, par exemple The World
Factbook (2013), Perspective Monde (version 7.6 07-2011) et UNSD (2014). 16 Les différences entre ces
trois sources sont minimes. Pour notre présentation, nous nous basons sur l’UNSD (2014). La population
totale selon cette source est de 12 841 702, ce qui est à peine inférieur au nombre de 12 873 601
personnes indiqué par l’ANSD (2014).
Une vue d’ensemble sur des tranches d’âge est donnée dans le tableau 4. Les tranches d’âge sont
regroupées en 0–14, 15–24, 25–49, 50–64 et 65+. 17 La tranche d’âge 0–14, c-à-d les enfants, comprend
un peu plus de 40 % de toute la population, et la tranche de la jeunesse (15–24) comprend environ
20 %. Ainsi la tranche d’âge de l’enfance et de la jeunesse constitue plus de 60 % de toute la population
et les 40 % restants constituent la population âgée de 25 ans ou plus. Parmi ces 40 %, la majorité est
âgée de 25–49 et seulement 3 % pour les 65+.
Tableau 4. Les tranches d’âge de la population sénégalaise selon l’UNSD (2014)
Tranche d’âge
0–14
15–24
25–49
50–64
65 +
Total

Pourcentage
41.5 %
20.9 %
27.6 %
6.7 %
3.3 %
100 %

Généralement la différence observée entre le nombre d’hommes et celui de femmes n’est pas
importante, à savoir 99.7 hommes pour 100 femmes (ANSD, 2014). Le taux de croissance de la
population est estimé à 2.48 % (CIA, 2014). Statistiquement les tranches d’âge montrent que les enfants
et les jeunes (0–14 et 15–24) dans les années à venir vont représenter un plus grand taux relatif aux
tranches d’âge 25+ que celles d’aujourd’hui. La forme de la pyramide va donc changer.
Par conséquent, pour la vitalité de la langue paloor, il est extrêmement important que les enfants et
la jeunesse paloor apprennent la langue paloor et la maintiennent en tant que première langue durant
toute leur vie.

16
17

UNSD = United Nations Statistics Division.
Les statistiques de l’UNSD présentent des tranches de 5 ans, 0-4, 5-9 etc.

9
2.5

La situation sociolinguistique

La région paloor est multilingue. Comme ailleurs au Sénégal, il y a une situation de diglossie, dans
laquelle le français (la langue officielle), l’arabe, le wolof (qui est la langue nationale dominante) et le
paloor ont des rôles particuliers. Les personnes ayant d’autres ethnies que le Paloor et habitant dans la
zone, par exemple des Peuls et des Saafi-Saafi, parlent leur langue maternelle. Pour plus de détails sur le
phénomène de diglossie, voir par exemple Fashold (1987) et Hudson (2002).
La Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001 déclare dans l’Article premier : « La
langue officielle de la République du Sénégal est le Français [sic]. 18 Les langues nationales sont le Diola,
le Malinké, le Pular, le Sérère, le Soninké, le Wolof [sic] et toute autre langue nationale qui sera
codifiée ». 19 Depuis 2001, le nombre des langues nationales a augmenté jusqu’à 21 langues, y compris le
paloor.
Selon notre étude basée surtout sur des données collectées au sud de la route nationale et le long de
ladite route, en grands traits, le français est la langue employée dans des situations officielles et dans des
domaines publics, alors que l’arabe est utilisé comme langue de l’Islam, qui est la religion des Paloor. Le
Livre Saint, le Coran, est écrit dans cette langue. Le wolof qui est la lingua franca la plus répandue du
pays comprenant également la zone paloor, est la langue utilisée dans les situations publiques et sociales
multiethniques. Le paloor est considéré comme langue maternelle des Paloor et les enfants paloor
l’apprennent comme première langue. Ainsi, les Paloor sont multilingues ; ils maîtrisent le paloor et le
wolof. De plus les enfants fréquentant l’école apprennent le français et dans une certaine mesure l’arabe.
Pour la plupart d’entre eux, la compétence en français dépend de leur niveau scolaire. Pour des détails,
voir le paragraphe 5.4 « Facteur 4 : L’utilisation du paloor dans les domaines publics et privés ».
Les données collectées par D’Alton il y a plus de 30 ans, surtout collectées au nord de la route
nationale et tout le long de cette route, présentent une autre répartition d’emploi des langues paloor et
wolof. D’Alton constate que « La langue palor [sic] devient de plus en plus réservée aux femmes. Il arrive
que les filles de la plus jeune génération apprennent – ou comprennent – le palor, à force de passer leurs
journées avec les femmes adultes, pour qui le palor est toujours préféré au wolof. Cependant, en règle
générale, c’est la génération la plus âgée et les femmes ayant plus de vingt-cinq ans qui parlent le palor »
(D’Alton 1987, 17).
Notre étude et celle de D’Alton indiquent que le paloor est plus utilisé dans le sud, c-à-d, au sud de
la route nationale, alors que dans le nord et le long de la route nationale le wolof prend plus
d’importance. Il y a de la rivalité ou de la concurrence entre l’emploi des deux langues. Il y a une
certaine tendance qui montre que l’utilisation de la langue paloor devient de plus en plus limitée et que
le wolof prend plus de place. Si cette tendance continue, la langue paloor risque de disparaître dans un
avenir proche. De facto, l’objet de cette étude est d’examiner plus profondément l’état actuel de la
vitalité de cette langue et, dans le cas où la vitalité est faible, comment procéder pour la revitaliser.
2.6

Les dialectes paloors

La langue paloor se compose de deux dialectes : le kajoor et le ba’ol. Le kajoor est le dialecte le plus
répandu. Il est parlé dans 16 villages alors que le ba’ol est parlé dans les autres huit villages. Voir le
tableau 1. Le baˈol est parlé dans le sud dans une région enclavée.
Les différences entre les deux dialectes sont mineures. Elles concernent particulièrement certains
sons. Le kajoor utilise [d] et le ba’ol [r] surtout à l’intermédiaire du mot. Le kajoor emploie [o] dans
quelques mots où ba’ol emploie [a].
Les deux dialectes kajoor et ba’ol se diffèrent également par les influences provenant d’autres
langues. Le ba’ol est surtout influencé par le saafi alors que le kajoor est beaucoup plus influencé par le
18

Les noms des langues sont écrits par des majuscules en général à l’initiale dans l’article. Pular dans la phrase
suivante (dans l’article) est écrit pulaar avec un aa long dans Lewis et al. (2016). La dernière écriture est appliquée
dans cette étude.
19
http://www.au-senegal.com/IMG/pdf/Constitution-senegal-2008.pdf, téléchargé 22-05-2013. Le texte est en cours
de consolidation avec l'intégration de la loi n° 2012-16 du 28 septembre portant sur la révision de la constitution.

10
wolof, d’où le nombre important d’emprunts en saafi dans le ba’ol et en wolof dans le kajoor. Par
exemple, sel « oiseau » et kosaay « grippe » en ba’ol sont des emprunts du saafi alors qu’en kajoor, on
emploie des mots paloor authentiques ƴak et jér. 20 Par contre, añ « déjeuner » et súmeekujoh
« déshabiller » en kajoor viennent du wolof et ces deux mots correspondent en ba’ol aux mots paloor
authentiques, à savoir ñamso et wálso. 21
Il est probable que les différences entre les deux dialectes vont disparaître dans l’avenir. Une des
raisons est la construction du nouvel aéroport international Blaise Diagne dans la zone de ba’ol et dans
une partie du territoire saafi. Les trois villages ba’ol Kessoukhate, Mbadat et Kathialick ont été déplacés
et ils ont été reconstruits près des villages kajoor. Ultérieurement, un hameau du village de Soune Sérère
et le village de Thiambokh seront aussi déplacés.
Le déplacement de ces villages va entrainer d’une part un rapprochement entre des villages ba’ol,
d’autre part entre les villages ba’ol et kajoor. Ce mouvement des populations et l’implantation du nouvel
aéroport peuvent être à l’origine d’un bouleversement sans précédent sur le plan social, économique et
culturel. Le rapprochement géographique des deux dialectes en paloor pourrait à long terme entraîner
une mutation de la langue. Les Ba’ol ont tendance à s’adapter au parler dominant, le kajoor. Ils verront
leur dialecte subir des transformations surtout du point de vue de la prosodie, de la phonologie et du
lexique.

3
3.1

Modèles d’analyse de la vitalité des langues
Introduction

Beaucoup de langues risquent de disparaître. Lewis et al. (2016), par exemple, pensent que 377 langues
ont disparu depuis 1950. Cela signifie que six langues disparaissent chaque année. Les perspectives
d’avenir sont encore plus drastiques selon le directeur de l’Alaska Native Language Center, Michael
Krauss. Dans son hypothèse, il présume que pratiquement 90 % des langues seraient soit moribondes soit
éteintes en 2100 (Ostler, 2000). Comme la diversité des langues est un élément essentiel de la diversité
culturelle immatérielle de l’humanité, l’extinction des langues est une véritable problématique. C’est la
raison pour laquelle l’UNESCO a ajouté cette problématique dans son agenda en 2001. Deux ans plus
tard, en 2003, l’organisation a organisé une réunion internationale d’experts sur le programme
« Sauvegarde des langues en danger ». Les objectifs principaux de cette réunion ont été :
1 de définir le degré de disparition des langues et d’établir les critères d’évaluation des risques de
disparition. Ceci a amené l’adoption d’un document intitulé « Vitalité et disparition des
langues » ;
2 d’étudier la situation des langues à travers le monde ;
3 de définir le rôle de l’UNESCO ;
4 de proposer des stratégies de sauvegarde des langues en danger et des stratégies de la promotion
de la diversité linguistique et culturelle de l’humanité (UNESCO 2003).
Ce sont les objectifs (1) et (4) qui nous intéressent dans cette étude pour la langue paloor.
3.2

Les degrés de vitalité d’une langue

L’UNESCO (2003) suggère un modèle pour déterminer le degré de vitalité des langues ce qui est le terme
préféré de l’UNESCO au lieu du terme « disparition ». Pourtant, ce sont des aspects du même sujet. La
vitalité est vue d’un angle positif, alors que la disparition d’une langue est vue d’un angle négatif.

20
L’accent aigu sur la première voyelle d’un mot marque que les voyelles du mot en question sont prononcées avec
l’avancement de la racine de la langue.
21
L’accent aigu en orthographe paloor signifie que la voyelle est prononcée avec l’avancement de la racine de la
langue (+ARL).

11
Dans son modèle, l’UNESCO donne neuf facteurs qui sont fondamentaux pour l’existence d’une
langue. Ils sont les suivants :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.

la transmission de la langue d’une génération à une autre ;
le nombre absolu de locuteurs ;
le taux de locuteurs sur l’ensemble de la population ;
l’utilisation de la langue dans les différents domaines publics et privés ;
la réaction face aux nouveaux domaines et médias ;
les matériels d’apprentissage et d’enseignement des langues ;
les attitudes et les politiques linguistiques au niveau du gouvernement et des institutions –
l’usage et le statut officiels ;
8. les attitudes des membres de la communauté vis-à-vis de leur propre langue ;
9. le type et la qualité de la documentation.
Les six premiers facteurs énumérés ci-dessus sont suggérés comme les facteurs principaux (ibid.). Le
7ème et le 8ème portent sur les analyses des attitudes et des politiques linguistiques. Le 9ème porte sur
l’urgence de la documentation. L’importance de ces facteurs est déterminée à partir d’échelles. UNESCO
(ibid., 6) maintient que « les échelles sont utiles pour évaluer la situation de la langue d’une communauté
et le type de soutien nécessaire à son maintien, sa revitalisation, sa perpétuation et sa documentation ».
L’échelle de la plupart des facteurs présente six degrés de vitalité (5-0). Dans l’échelle, le degré (5)
indique la vitalité la plus forte. Le degré (0) signale la vitalité la moins forte. Voir le
tableau 5. Le facteur 1 est composé d’un degré de plus, à savoir (5-), et le facteur 2 en distingue
seulement deux. Cependant en ce qui concerne ce dernier facteur, trois degrés sont distingués dans notre
étude. Le caractère de chaque degré d’un facteur est résumé par une étiquette dans le modèle de
l’UNESCO sauf en ce qui concerne les facteurs 6 et 8. Pour le facteur 6 nous avons trouvé convenable de
donner les mêmes étiquettes que celles pour le facteur 9 ; le facteur 8 reçoit ses propres étiquettes basées
sur sa caractéristique. En plus de l’étiquette, chaque degré est pourvu d’une signification plus longue.
Pour ces significations, voir l’analyse des facteurs individuels dans le paragraphe 5.
Pour déterminer le degré de la vitalité d’une langue, les neuf facteurs doivent être pris en
considération. Une idée serait de prendre la moyenne des degrés déterminés pour les neuf facteurs.
Cependant, compte tenu des différences de perspectives d’influence et d’importance des facteurs, les
résultats ne pourraient pas refléter la réalité actuelle. L’UNESCO pense que le premier facteur est le plus
important et que les autres le sont moins, mais ils ont pourtant de grands effets sur la vitalité d’une
langue. Ainsi, nous avons étudié ces facteurs un à un dans la langue paloor et ensuite nous avons mené
une discussion pour déterminer son degré de vitalité. Dans la discussion nous avons pris en considération
l’effet du facteur individuel.
Tableau 5. L’échelle du degré de vitalité selon l’UNESCO (2003) modifiée
Facteur
1b

(5)
sûr

2c
3

sûr
sûr

4

usage
universel

5

dynamique

Degré de vitalitéa
(4)
(3)
(2)
précaire
en danger
sérieusement en
danger
précaire / vulnérable
précaire
en danger
sérieusement en
danger
parité
domaines
domaines limités
en déclin
multilingue
solide /
actif

réceptif

adaptable

(1)
moribond

(0)
mort

moribond

mort
mort

domaines
extrêmement
limités
minimal

mort

inactif

12
6d
7

excellent
soutien
égalitaire

bon
soutien
différencié

assez bon
assimila tion passive

fragmentaire
assimilation
active

insuffisant
assimilation
forcée

inexistant
interdiction

8d

excellent

favorable

moins favorable

excellent

bon

assez
indifférent
insuffisant

indifférent

9

assez
favorable
assez bon

fragmentaire

inexistant

a

Pour la signification plus détaillée, voir les paragraphes 5.1 – 5.9.
b
Le facteur 1 comporte aussi le degré de vitalité (5-) « stable mais pourtant menacé ».
c
Le facteur 2 indique seulement deux degrés de vitalité, à savoir « sûr » et « précaire / vulnérable » selon le
modèle de l’UNESCO. Nous ajoutons le niveau 0 « mort ».
d
Les facteurs 6 et 8 manquent d’étiquettes dans le modèle. Dans notre étude, le facteur 6 est pourvu des
mêmes étiquettes que le facteur 9, même si elles ne sont pas tout à fait idéales. Le facteur 8 a ses propres
étiquettes basées sur sa caractéristique.

L’UNESCO dans son modèle prend la perspective de la vitalité d’une langue comme il est déjà
mentionné ci-dessus alors que Moseley dans son modèle en 2012, présenté dans The UNESCO Atlas of the
World’s Languages in danger: Context and process, prend la perspective de la disparition.
De plus, le facteur dont Moseley se sert est restreint par rapport à celui de l’UNESCO. Il prend
seulement en considération le nombre de générations des locuteurs de la langue et de la transmission de
la langue à la plus jeune génération. 22 Ce facteur correspond au facteur 1 de l’UNESCO. Moseley présente
également une échelle pour déterminer la position du cycle de vie de la langue. L’échelle comporte sept
niveaux, comme le facteur correspondant de l’UNESCO – et Moseley utilise les mêmes étiquettes que
l’UNESCO, à savoir « sûre », « stable et pourtant menacée », « précaire / vulnérable », « en danger »,
« sérieusement en danger », « moribonde / en situation critique » et « éteinte ». Voir le tableau 6.
Un troisième modèle sur le cycle de vie des langues est présenté par Lewis et Simons (2010) et dans
Lewis et al. (2016). Leur approche Graded International Disruption Scale (GIDS) élaborée par Fishman
(1991), a été appliquée tout en la développant. Cela a amené son expansio