Portrait sociologique n°1.

Portrait sociologique n°1.

Josiane a soixante-quinze ans. Elle réside en HLM à Argenteuil. Ses parents étaient des immigrés de Hongrie, « juifs, communistes et apatrides », qui étaient athées, comme elle. Elle définit son milieu d’origine, qui se réfère à l’univers de la classe ouvrière communiste, comme celui de « petits Juifs de l’est » ayant une forte volonté d’intégration. Orpheline de ses parents déportés, elle dut commencer à travailler en 1945, à l’âge de quinze ans. Elle occupa un poste d’employée administrative à la Caisse des congés payés du spectacle. Elle se syndiqua à la fédération du spectacle de la C.G.T. et fut élue déléguée syndicale à l’âge de dix-huit ans. Elle est devenue par la suite conseillère prud’homme. Elle a adhéré au Parti communiste, également à l’âge de dix- huit ans. Elle a adhéré également à la FNDIRP et au MRAP avant les années 60, mais

de 1948 à 1991, elle dit n’avoir milité activement qu’à la CGT et au Parti communiste. Elle a aussi milité au MLAC. Elle a eu une fille et a été mariée. Elle est à la retraite depuis 1991. Elle est veuve depuis 1993. A cette date, elle a commencé à tenir une permanence bénévole dans une section locale du Parti communiste. Elle a aussi commencé à militer activement à la FNDIRP, en participant à un travail sur la mémoire

de la déportation, en s’appuyant sur son vécu pendant la Seconde guerre mondiale. Elle fait maintenant partie du comité national de cette association. Dans ce cadre, elle intervient dans des écoles, participe à une association qui s’appelle « Les enfants cachés », et a écrit un livre dans une collection intitulée « Paroles d’étoiles ». Elle a commencé à militer activement au MRAP en participant à remettre sur pied le comité local d’Argenteuil, en 1993. Elle en est devenue trésorière adjointe. Elle a ensuite commencé à militer pour les sans-papiers autour de l’année 1996.

Elle fut la seule personne qui me téléphona directement, suite à mon courrier sur la liste de discussion internet du MRAP. L’entretien se déroula dans un café. Elle me dit qu’elle avait déjà été interviewée par un étudiant d’histoire. Elle s’intéressa à ma situation personnelle, me demandant par exemple si je travaillais ou si mes parents m’aidaient financièrement. Pour elle, « un étudiant, il faut l’aider, s’il veut faire quelque chose ».

Portrait sociologique n°2.

Robert a soixante-sept ans. Il est originaire d’un milieu agricole, il a grandi dans le Loiret, en Sologne. Son père était apiculteur. Il est marié et a deux filles. Ayant reçu une éducation catholique, il est athée. Ses parents n’étaient pas politisés. C’est en revenant

de la Guerre d’Algérie qu’il a adhéré pour la première fois dans des organisations à vocation politique : la CGT et le Parti communiste. Il exerçait la profession d’ingénieur technico-commercial, en informatique et gestion, dans une société de conseil et d’études en informatique. Il a été délégué syndical et secrétaire du comité central, dans son entreprise. Il faisait partie du secrétariat national du syndicat CGT dans la branche des sociétés d’études et de conseil, où il était l’« un des quatre cinq responsables syndicaux sur les questions de l’informatique ». Il a participé activement, dans les années 70, aux débats sur la loi « informatique et libertés », qui ont abouti à la création de la CNIL. Au Parti communiste, il a été actif en étant responsable de commissions d’études « sur des questions informatiques, sur la sociologie, sur des aspects économiques ». Il fait partie

de deux associations d’anciens combattants, la FNACA et l’ARAC, qui sont « liées à la lutte anticoloniale ». Il a adhéré au MRAP entre 75 et 80. S’il dit avoir eu un « priori par rapport à la paix », du fait notamment de la participation de son père à la guerre 14-18, il identifie la Guerre d’Algérie, pour laquelle il fut appelé à dix-huit ans, comme lui ayant « fait toucher du doigt, d’une façon concrète, les questions du colonialisme et du racisme ». Il

a aussi eu pendant plusieurs années des responsabilités dans un club sportif. Il a pris sa retraite dans les années 90. Il a commencé à révéler publiquement son expérience de témoin de la torture pendant la Guerre d’Algérie, lorsque cette question a fait l’objet d’un important débat dans l’opinion publique, à partir de l’année 2000. Suite aux témoignages qu’il a donnés dans deux films documentaires, une émission télévisée, ainsi que dans un livre qu’il a écrit, des plaintes judiciaires ont été déposées contre lui. Le MRAP l’a soutenu dans son engagement et d’autres adhérents du MRAP ainsi que Mouloud Aounit, le secrétaire général du mouvement, l’ont sollicité pour participer à relancer le comité local du MRAP de Trappes, dont il est devenu président. Lors du dernier congrès national du MRAP qui s’est tenu à Bobigny en décembre 2004, il a été a aussi eu pendant plusieurs années des responsabilités dans un club sportif. Il a pris sa retraite dans les années 90. Il a commencé à révéler publiquement son expérience de témoin de la torture pendant la Guerre d’Algérie, lorsque cette question a fait l’objet d’un important débat dans l’opinion publique, à partir de l’année 2000. Suite aux témoignages qu’il a donnés dans deux films documentaires, une émission télévisée, ainsi que dans un livre qu’il a écrit, des plaintes judiciaires ont été déposées contre lui. Le MRAP l’a soutenu dans son engagement et d’autres adhérents du MRAP ainsi que Mouloud Aounit, le secrétaire général du mouvement, l’ont sollicité pour participer à relancer le comité local du MRAP de Trappes, dont il est devenu président. Lors du dernier congrès national du MRAP qui s’est tenu à Bobigny en décembre 2004, il a été

J’ai rencontré Henri au Centre social de Ménilmontant, où le MRAP organisa, à l’occasion de la « semaine d’éducation contre le racisme 2005 », une projection d’un documentaire portant sur la torture pendant la guerre d’Algérie, dans lequel apparaît Henri, entre autres appelés de cette guerre. Celui-ci, en tant que témoin direct des faits, fut le principal protagoniste du débat qui suivit le film. Il accepta rapidement ma demande d’entretien. Celui-ci se tint dans les locaux du siège parisien du MRAP.

Portrait sociologique n°3.

Philippe a soixante-treize ans. Il est juif, ce qu’il perçoit comme quelque chose « qui a dû compter dans son engagement, mais pas beaucoup ». Il est médecin, à la retraite, à Paris. Ses parents étaient commerçants. La rencontre avec cette personne s’avéra fondée sur un malentendu dans la mesure où il m’apprit qu’il n’avait jamais adhéré au MRAP. Le mode de prise de contact que j’ai utilisé avec la plupart des interviewés – un e-mail adressé à l’ensemble de la liste de discussion électronique des adhérents du MRAP – m’a ainsi amené à sortir involontairement du cadre fixé des militants actifs de l’association. Cependant, sa présence sur la « liste internet » et son acceptation du principe de l’entretien s’expliquèrent par un engagement ponctuel qu’il avait pris pour la cause de l’antiracisme, dans le cadre de sa carrière de médecin. Il est également à noter qu’il fait aujourd’hui partie du « conseil scientifique » d’ATTAC. L’entretien fut beaucoup plus court que la plupart des autres, notamment puisque le plan d’orientation de l’entretien était centré sur le militantisme au MRAP. Il me raconta essentiellement l’engagement antiraciste qu’il prit, dans les années 90, sur le terrain de la médecine et de la biologie, par une contribution aux débats sur l’éthique de la science médicale.

Portrait sociologique n°4.

Claude a soixante-deux ans. Ses parents étaient tous deux professeurs. Comme ses parents, il se définit comme laïc et athée. Son père était un militant socialiste, tout comme son grand-père, qui fit partie des initiateurs de la LDH. Il est à la retraite depuis 1995. Il a été d’abord professeur de lettres, période durant laquelle il était syndiqué au SNES, puis conservateur à l’Ecole normale supérieure. Durant l’exercice de cette seconde activité, il a fait partie de la commission administrative nationale du Syndicat des bibliothèques. Il a cessé d’avoir cette responsabilité quand le syndicat est devenu la FSU, où il a également adhéré. Il a milité au Parti communiste de 1968 à 1994. Au début des années 60, il a milité dans un club UNESCO. S’il a adhéré pour la première fois au MRAP en 1974, il n’a commencé à s’y impliquer activement qu’en 1991, en devenant le président du comité local du dixième arrondissement de Paris. Il a été essentiellement actif en participant à l’organisation de campagnes en faveur du droit de vote des étrangers. Jusqu’en 2004, il a fait partie du Bureau national, comme responsable sur les questions de « démocratie participative ».

L’entretien se déroula chez moi. Il semble intéressant de noter que Jean-Marie enregistra l’entretien sur son propre dictaphone. Cet élément semble ne pas être anodin. En effet, en le reliant à une pratique discursive que l’on peut qualifier d’intellectualiste, émaillée de références philosophiques et affirmant une volonté d’analyse, il participe à caractériser un rapport spécifique au langage. Cette utilisation du dictaphone peut ainsi être comprise comme le produit d’une volonté de maîtriser son discours, caractéristique d’une posture professorale.

Portrait sociologique n°5.

Bernadette a soixante-quinze ans. Aujourd’hui à la retraite, elle a été professeur d’université d’économie. En tant que « marxiste », elle fait encore l’objet de sollicitations scientifiques et politiques, l’ayant par exemple amené à faire partie du Conseil scientifique de la CGT et de celui d’ATTAC, ou encore à être invitée dans des colloques marxistes liés au Parti communiste. Elle se définit comme étant d’origine juive laïque. Son mari, « d’origine protestante, sans religion », est également militant au

MRAP. Elle a adhéré au Parti communiste à l’âge de dix-huit ans, en 1947. Elle a cessé d’y militer activement en 1980, puis de payer sa cotisation en 1983. Elle a également été active au sein du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), au sein duquel elle fut secrétaire adjointe de la section des économistes. Dans les années 70, elle a participé à la fondation d’un « cercle économiste progressiste, qui a rassemblé jusqu’à 250 économistes en France ». Elle a adhéré au MRAP au début des années 90, en créant, en collaboration avec deux autres militantes, le comité local du cinquième et du treizième arrondissements de Paris. Leur première action fut le soutien de sans-papiers menant une grève de la faim dans le treizième arrondissement. Il y a quelques années, le comité a créé une permanence juridique (qui a lieu une fois par semaine) d’aide aux sans-papiers, en collaboration avec le comité local du treizième arrondissement de la Ligue des droits de l’Homme.

Portrait sociologique n°6.

Michelle a soixante ans. Elle est juive marocaine. Elle a été directrice d’études dans une société d’études de marché, et travaille aujourd’hui comme consultante, avec le statut de profession libérale. Au Maroc, elle a adhéré au Parti communiste. Elle est venue habiter en France, en 76, à la suite d’évènements tels que des emprisonnements politiques. Elle a « naturellement » adhéré au Parti communiste français. Elle a adhéré au MRAP dans les années 80, en devenant la présidente du comité local du neuvième arrondissement de Paris. Elle a été élue conseillère municipale dans le neuvième arrondissement de Paris, alors qu’elle se présentait sur une liste « société civile » au sein

de laquelle elle représentait le MRAP. Elle fait partie du bureau national du MRAP, en tant que « chargée du Proche et du Moyen Orient ».

Portrait sociologique n°7.

Marie a cinquante-trois ans. Elle est médecin dans un centre public de santé, à Gennevilliers. Elle vit à Argenteuil avec son compagnon, C., qui est de nationalité allemande. Ce dernier est militant au sein d’ATTAC. Elle a fait partie des Jeunesses communistes et a adhéré au Parti communiste jusqu’en 1979. Elle a adhéré assez tôt au

MRAP, « naturellement »(elle ne se souvient pas quand). Elle a commencé à s’y engager activement en participant à créer un comité local de l’association à Argenteuil, dans les années 80. En dehors du MRAP, elle a aussi participé à un collectif de solidarité avec l’Algérie, s’est engagée en faveur du non au traité de Maastricht, a participé à des actions menées par Ras l’front. Le père de Claudine (décédé en 1981) était lui même adhérent au MRAP, ainsi qu’au Parti communiste, auquel il a adhéré pendant la Seconde guerre mondiale. Sa mère est toujours adhérente au Parti communiste. Pour elle, son père était adhérent au MRAP, « dans la foulée de cet engagement communiste, et aussi dans la foulée de l’engagement de ces Juifs venus de l’est, puisqu’il était arrivé en France en 25, à l’époque pas communiste, d’ailleurs. ». Elle est athée.

Elle me proposa que l’on se tutoie («ce sera plus simple »), ce qui contribua à réduire la distance entre nous. Si cela eut pour vertu de contribuer à me mettre à l’aise, dans le contexte d’un accueil cordial chez elle (elle me proposera de rester dîner), cette relation présenta peut-être un biais dans la mesure où elle réduisit ma distance et par suite, ma vigilance quant à certains aspects de l’orientation de l’entretien.