Tentara menumpas terorisme dan ancaman militer

Militer pour l’antiracisme

Mémoire de maîtrise de sociologie

Etienne ANTELME Sous la direction de Mahamet TIMERA Septembre 2005

Introduction.

L’engagement des militants antiracistes, qui est l’objet de cette étude, se définit d’abord contre le racisme. Il présuppose donc fonctionnellement un acte de définition de celui-ci. Pour situer le sens de cette opération de conceptualisation, il est utile de se pencher sur les usages sociaux dominants de la notion de racisme. Dans un dictionnaire général , le « racisme » est défini comme suit : « 1902 ; de race . 1 – Théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres. Le racisme n’a aucune base

scientifique. 2 – (Abusivement) Hostilité systématique contre un groupe social. » 1 On peut voir ici la définition la plus commune du racisme, qui le qualifie de théorie

affirmant la supériorité absolue d’un groupe d’hommes sur les autres. Ici, le racisme est caractérisé avant tout comme mouvement de dévalorisation, d’infériorisation de l’Autre, légitimant sa domination et son exploitation, et dont le paradigme est l’esclavage. Il s’agit là d’une première logique du racisme, l’ « inégalitarisme ». Un deuxième axe interne au racisme, le « différentialisme », est également perceptible dans cette définition. En effet, il est question d’une volonté de préserver « la race dite supérieure de tout croisement ». Sur cette base, on peut dire que le groupe « racisé » n’est pas seulement perçu comme propre à être dominé, mais aussi comme menaçant, antagonique, devant être tenu à l’écart, ce qui complète la légitimation de sa domination. Nous rendrons compte un peu plus loin des débats scientifiques concernant l’articulation de ces deux dimensions du racisme.

La définition précitée étant issue d’un dictionnaire à la diffusion très large, on peut la considérer comme représentative de l’idéologie dominante. Dès lors, on peut noter qu’elle contient implicitement un jugement négatif du racisme, en affirmant que le racisme n’a aucune base scientifique. Le mouvement social antiraciste a ainsi pu être qualifié de « mouvement sans adversaires » [Juhem, 2001], dans la mesure où, à l’instar des mobilisations protestant contre le terrorisme, il s’appuie sur un large consensus. De

1 REY-DEBOVE Josette, REY Alain (sous la direction de), « Racisme », in Le petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2000.

par sa définition sociale dominante, le racisme est aujourd’hui, dans la société française, une idéologie fortement stigmatisée, qu’il est difficile de revendiquer dans l’espace public. Par suite, le conflit antiracistes/racistes est d’une autre nature qu’un conflit salariés/patronat, dans lequel les acteurs sont à même de faire accepter par leurs adversaires, au moins partiellement, une légitimité de leur existence sociale. En tant qu’auto-définition publique, le raciste est presque introuvable.

La deuxième partie de la définition postule un usage abusif du terme servant à désigner une « hostilité systématique contre un groupe social ». Au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, notamment en liaison avec le travail de mémoire entourant la Shoah, le combat antiraciste s’est institutionnalisé, au niveau national comme international. Ainsi, le « racisme » est devenu un mot extrêmement familier dans la société française. Si une telle banalisation de ce concept est peut-être le signe réjouissant de l’intégration dans la conscience collective d’ un antiracisme de base, intériorisé chez les individus par une éducation de masse qui va dans ce sens, on peut aussi penser, comme le sociologue Pierre-Jean Simon, qu’à « travers la banalisation du terme il y a une banalisation de la chose » [1998], qui risque de créer de la confusion dans la reconnaissance du problème et dans son traitement.

L’antiracisme tient une grande part de son efficacité symbolique du fait qu’il constitue le racisme en objet, le concevant tel un symptôme irrationnel en lui-même, mais prenant prise sur des causes réelles. L’antiracisme, en tant que mode d’expression politique prétendant être un sujet purement critique, peut devenir l’enjeu d’une lutte pour le « monopole du droit de dénonciation antiraciste de l’adversaire » [Taguieff, 1987]. Comme mot d’ordre utilisé au nom de diverses causes - parfois opposées - , il devient un instrument de légitimation et de délégitimation des causes d’engagement. Derrière un consensus formel intégré au discours républicain dominant, l’espace de revendication des valeurs antiracistes est en fait traversé par des tensions qui reflètent celles existant entre différentes positions dans le champ politique. Pour indiquer la réalité du fractionnement de l’antiracisme politique, il suffit d’évoquer les dissensions qui ont conduit les principales organisations antiracistes françaises (d’une part, la LICRA et SOS Racisme, et d’autre part le MRAP et la LDH) à ne pas défiler ensemble, lors d’une manifestation antiraciste qui se voulait unitaire, le 7 novembre 2004.

Erik Neveu définit la notion de mouvement social comme une « forme d’action collective concertée […] dans une logique de revendication, de défense d’un intérêt matériel ou d’une « cause » » [2002], et qui se construit en identifiant un adversaire. On peut la décrire comme une composante importante de la participation politique. L’antiracisme, comme l’ensemble des mouvements sociaux, s’inscrit dans une évolution historique tendant à la politisation de l’action protestataire, dans le sens d’un recours croissant à l’Etat, identifié comme le lieu du déclenchement de politiques publiques appelées à régler les problèmes construits en tant que questions sociales. On identifie souvent spontanément les mouvements sociaux à des acteurs dominés, les opposant à l’action politique institutionnalisée. Cependant, une approche relationnelle de ce phénomène invite à le concevoir davantage comme un espace d’accès aux arènes sociales institutionnelles, à travers l’interconnexion de différents univers sociaux, plus ou moins institutionnalisés. Ainsi, si l’idéal-type de l’action du mouvement social réside dans une participation directe des militants à une action orientée vers les autorités politiques, celle-ci n’est pas nécessairement disjointe d’une certaine institutionnalisation comme groupe de pression. D’autre part, elle est aussi souvent faite de pratiques qui ne s’adressent pas aux pouvoirs politiques, mais se déroulent au sein de la société civile, telles que l’ « éducation populaire » ou les réseaux d’entraide.

Depuis l’affaire Dreyfus, le mouvement social auto-désigné comme « antiracisme » s’est progressivement construit comme un « espace d’appel » [Ibid] pour l’action politique, espace où interviennent divers acteurs : syndicats, partis politiques, associations, intellectuels (au premier rang desquels on trouve des philosophes et des généticiens), journalistes, citoyens et citoyens victimes ou descendants de victimes du racisme. Tous ces agents sociaux contribuent à la construction du racisme comme problème public et question sociale. Si l’universalisme antiraciste prétend à l’engagement de tous pour tous, les groupes militants qui le revendiquent cristallisent des identités sociales spécifiques qui contiennent des rapports au politique particulier, des rapports différents au racisme, par exemple selon le rapport au racisme vécu par les militants. Dès lors, il semble intéressant d’étudier les représentations sociales que se font des militants antiracistes de leur engagement et du parcours dont il procède.

Selon Albert Lévy, qui fut longtemps secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), « comparé à la plupart des associations de même nature, le MRAP se distingue, précisément, par son universalisme » [1999]. Aspirant à lutter contre tous les racismes, le MRAP est exemplaire d’une posture universaliste prétendant à un militantisme moral, agissant en faveur de groupes dont il n’est pas nécessaire de faire partie. Ainsi, le discours officiel du mouvement insiste sur une volonté d’ouverture politique et culturelle : sur son site internet, il préconise une « lutte pour les droits de l’homme au-delà des sensibilités politiques, philosophiques ou confessionnelles des membres qui le composent ». Cependant, l’étude de l’histoire du MRAP témoigne de liens importants avec la gauche communiste. Encore aujourd’hui, des statistiques produites par Johanna Siméant [1998], ainsi que l’enquête que nous avons menée, démontrent une continuité d’une inscription dans cet univers de référence politique. Une deuxième dimension historique significative pour caractériser le MRAP réside dans le contexte de sa création, qui s’appuya sur une forte base dans la communauté juive de Paris, notamment à travers différentes organisations de solidarité issues de la résistance à l’occupation nazie.

A partir d’une enquête auprès de militants du MRAP, le but de notre recherche est d’étudier l’idéologie et les pratiques qu’ils mettent en œuvre dans un antiracisme politique. A partir d’une démarche de sociologie compréhensive, il s’agit de cerner une « carrière » idéologique et culturelle aboutissant à une implication active dans ce collectif, et à un positionnement particulier dans celui-ci, pouvant provoquer une position plus ou moins critique, pouvant aller jusqu’à la rupture. Afin d’appréhender les conditions de possibilité de l’engagement des militants interviewés, nous tenterons de mettre en valeur les trajectoires au principe de leur militantisme actif.

Nous avons rapidement remarqué le fait que le MRAP offrait peu d’avantages matériels ou de services directement destinés aux adhérents, et qu’il ne disposait que de très peu de postes salariés. De par sa structure, il ne présente pas de grandes perspectives de professionnalisation à ses militants, comme peut le faire un parti politique. Les raisons d’agir des militants semblent donc résister au modèle de l’ « homo eoconomicus » et d’un calcul coûts–avantages–risques. L’hypothèse d’avantages retirés du militantisme peut être déplacée sur le registre des gratifications Nous avons rapidement remarqué le fait que le MRAP offrait peu d’avantages matériels ou de services directement destinés aux adhérents, et qu’il ne disposait que de très peu de postes salariés. De par sa structure, il ne présente pas de grandes perspectives de professionnalisation à ses militants, comme peut le faire un parti politique. Les raisons d’agir des militants semblent donc résister au modèle de l’ « homo eoconomicus » et d’un calcul coûts–avantages–risques. L’hypothèse d’avantages retirés du militantisme peut être déplacée sur le registre des gratifications

Pour décrire la rationalité à l’œuvre dans le militantisme au MRAP, il est important d’étudier les trajectoires militantes individuelles, afin de replacer cet engagement dans un champ plus large, qui est celui du militantisme politique. En effet, notre recherche nous a amenés à constater que la plupart des militants du MRAP adhère, ou a adhéré, à au moins un syndicat, parti politique, ou autre association politique que le MRAP. Au départ de notre recherche, nous avons élaboré une question de départ, qui s’est progressivement précisée dans une problématique :

- Comment des individus parcourent la distance qui sépare un antiracisme fait de l’affirmation de principes généraux, intégrés dans la morale dominante, consistant essentiellement en une attitude passive ou défensive, à l’implication dans un antiracisme actif et offensif, politique, donc amené à identifier des enjeux précis, des manifestations du racisme dans l’ensemble de la société, et à désigner la responsabilité, par action ou absence d’action, du pouvoir étatique à travers ses instances exécutives, législatives et judiciaires ?

- Quelles trajectoires sociales et militantes peuvent amener des individus à s’engager activement au MRAP ? Quelles dimensions de leur capital social sont investies ou ont été acquises dans leur activisme ? Quelle intégration sociale représente le militantisme pour eux ?

- Quel est leur rapport au politique ?

- Quels sont les principes fédérateurs de l’idéologie des militants, quel sens donnent-ils à leur combat ? En quels termes définissent-ils les enjeux du mouvement ? Quelles relations de conflit font sens pour eux ? Quels sont les critères de leur combat universaliste ? Quel est leur rapport subjectif à l’engagement ? Quelles valeurs et quelle rationalité morale mettent-ils en avant ?

Cette série de questions nous a amenés à formuler plusieurs hypothèses. Après un

travail d’objectivation des structures du MRAP et du champ antiraciste, un premier axe d’analyse se penchera sur les caractéristiques sociales des militants, en cherchant à interroger les liens entre les différents capitaux sociaux détenus par les militants interviewés, et la manière dont ils les investissent dans ce que l’on nommera un capital militant, ensemble de ressources et de savoir-faire propres à l’engagement politique mené. Une deuxième hypothèse consiste à penser que le militantisme au sein du MRAP est largement lié à une socialisation politique particulière, et qu’il prend son sens en relation avec d’autres engagements ou désengagements politiques. Dans un univers de référence politique issu de la gauche communiste, on peut supposer que les militants du MRAP sont amenés à se positionner par rapport à celui-ci, dans la mesure où le discours officiel du MRAP circonscrit son action à la lutte contre le racisme, et prétend être ouvert à toutes les sensibilités politiques. Enfin, une troisième hypothèse est celle d’une subjectivité issue d’un rapport au racisme vécu par les militants, que cela soit en tant qu’observateur ou comme victime. Nous chercherons à voir si l’expérience vécue du racisme par les militants informe leurs représentations de la lutte antiraciste. Cela nous mènera à comprendre les liens et tensions entre, d’une part, un militantisme se voulant moral, universaliste, et d’autre part, les dimensions identitaires, particularistes, en jeu dans leur militantisme. Une dernière hypothèse à vérifier sera alors celle de conflits d’interprétation quant à l’identification des « racistes », ce qui nous amènera à poser la question des difficultés du militantisme antiraciste à dépasser les catégories racisantes et essentialistes.

I/ La méthode appliquée.

1 - La construction de l’objet sociologique.

Avant d’exposer la recherche que nous avons mise en œuvre, il est important de rappeler l’objet de la sociologie, en nous appuyant sur certains concepts fondamentaux, mûris par différents chercheurs qui ont contribué à consolider le statut scientifique de cette discipline. La sociologie est l’étude des faits sociaux, c’est-à-dire des « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui » [Durkheim] . De cette définition du social comme extérieur à l’individu – dans la mesure où il lui préexiste - découle le précepte durkheimien selon lequel il faut traiter les faits sociaux comme des choses. Cette objectivité du social, qui justifie l’ambition scientifique de la sociologie, s’incarne à la fois dans des règles instituées, formelles, des conditions objectives d’existence, mais aussi dans des systèmes de dispositions sociales incorporées, des habitus, pour reprendre un concept largement développé par Pierre Bourdieu.

Les grands courants de la recherche sociologique se positionnent souvent autour d’une opposition apparente entre, d’une part, l’analyse du rôle des structures sociales, et d’autre part, celle des actions individuelles, ou encore des accomplissements, par lesquels les agents sociaux, en tant qu’acteurs compétents, construisent la réalité sociale. Il s’agit là d’une dichotomie récurrente tout au long de l’histoire de la sociologie, entre d’une part un point de vue objectiviste ou structuraliste, et un deuxième subjectiviste ou constructiviste. Plus généralement, cette antinomie reflète un questionnement philosophique plus large débattant de la part de déterminisme et celle de liberté dans les actions humaines. L’approche structuraliste a le mérite de rompre avec l’illusion de la transparence du monde social, en dévoilant les régularités objectives qui existent dans « la distribution des ressources matérielles et des moyens d’appropriation des biens et des valeurs socialement rares » [L.J.D.Wacquant, 1992]. Cependant, un travail sociologique privilégiant excessivement ce type d’approche risque de tomber dans le travers d’une vision mécaniste des comportements sociaux. Il pourra alors difficilement appréhender la manière dont les agents sociaux construisent l’univers social dans lequel Les grands courants de la recherche sociologique se positionnent souvent autour d’une opposition apparente entre, d’une part, l’analyse du rôle des structures sociales, et d’autre part, celle des actions individuelles, ou encore des accomplissements, par lesquels les agents sociaux, en tant qu’acteurs compétents, construisent la réalité sociale. Il s’agit là d’une dichotomie récurrente tout au long de l’histoire de la sociologie, entre d’une part un point de vue objectiviste ou structuraliste, et un deuxième subjectiviste ou constructiviste. Plus généralement, cette antinomie reflète un questionnement philosophique plus large débattant de la part de déterminisme et celle de liberté dans les actions humaines. L’approche structuraliste a le mérite de rompre avec l’illusion de la transparence du monde social, en dévoilant les régularités objectives qui existent dans « la distribution des ressources matérielles et des moyens d’appropriation des biens et des valeurs socialement rares » [L.J.D.Wacquant, 1992]. Cependant, un travail sociologique privilégiant excessivement ce type d’approche risque de tomber dans le travers d’une vision mécaniste des comportements sociaux. Il pourra alors difficilement appréhender la manière dont les agents sociaux construisent l’univers social dans lequel

de vue subjectiviste a donc l’intérêt de mettre en avant le fait que les individus sont doués d’une compétence sociale, qu’ils ne sont pas le jouet de forces autonomes, et qu’ils élaborent des stratégies faites de représentation et de volonté. Mais là aussi, il existe un écueil à éviter, celui d’oublier de prendre en compte les structures sociales dans lesquelles les agents sociaux effectuent leurs actes de construction. En effet, si ces derniers effectuent bien des actes de classification individuels, ils n’ont pas produit les catégories qui sont à leur principe, et qui expliquent la persistance des configurations objectives dans lesquelles les individus mettent en œuvre leurs stratégies. Une recherche sociologique fructueuse se doit donc de considérer ces deux orientations comme deux moments de l’analyse qui sont complémentaires. Pour construire un objet sociologique, il est cependant conseillé de partir de l’objectivation des structures du phénomène que l’on veut étudier, qui permet une première rupture avec les prénotions du sens commun.

2 – La phase exploratoire et les conditions d’accès au terrain d’enquête.

Le point de départ de notre recherche, en posant naïvement la question « Comment peut-on être antiraciste ? » consista à se défier de la doxa, qui présente l’antiracisme comme une évidence morale, et le laisse ainsi à l’état d’impensé. Nous avons donc entamé la phase exploratoire de notre travail, dans le but d’objectiver le groupe social qui nous intéresse ici, les militants antiracistes, et plus particulièrement ceux du MRAP. Bien sûr, la focalisation du travail sur ce groupe n’alla pas de soi, et répondit plus ou moins arbitrairement à un ensemble de contraintes, inhérentes aux tâtonnements que connaît les premiers pas d’une recherche. A la base de notre recherche, je fis le projet d’étudier un groupement associatif basé sur des objectifs politiques et/ou culturels mettant en jeu la notion de migrations et/ou celle de relations inter-ethniques. Ne faisant personnellement pas partie d’une association de ce type, il se posa pour moi la question du mode d’accès à mon terrain d’enquête. Ma première intention fut d’étudier un groupe engageant l’identité d’immigré dans une activité de nature politique. Je cherchai alors à entrer en relation avec le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), un groupe militant issu du mouvement « beur » Le point de départ de notre recherche, en posant naïvement la question « Comment peut-on être antiraciste ? » consista à se défier de la doxa, qui présente l’antiracisme comme une évidence morale, et le laisse ainsi à l’état d’impensé. Nous avons donc entamé la phase exploratoire de notre travail, dans le but d’objectiver le groupe social qui nous intéresse ici, les militants antiracistes, et plus particulièrement ceux du MRAP. Bien sûr, la focalisation du travail sur ce groupe n’alla pas de soi, et répondit plus ou moins arbitrairement à un ensemble de contraintes, inhérentes aux tâtonnements que connaît les premiers pas d’une recherche. A la base de notre recherche, je fis le projet d’étudier un groupement associatif basé sur des objectifs politiques et/ou culturels mettant en jeu la notion de migrations et/ou celle de relations inter-ethniques. Ne faisant personnellement pas partie d’une association de ce type, il se posa pour moi la question du mode d’accès à mon terrain d’enquête. Ma première intention fut d’étudier un groupe engageant l’identité d’immigré dans une activité de nature politique. Je cherchai alors à entrer en relation avec le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), un groupe militant issu du mouvement « beur »

Souhaitant m’intéresser prioritairement à la dimension politique – c’est-à-dire à la mise en jeu de catégories politiques dans des revendications orientées vers les pouvoirs publics - de l’association plus qu’à sa structure organisationnelle, mon but initial fut de rencontrer des militants actifs dans l’association, avec l’intention de diversifier, dans la mesure du possible, l’échantillon des personnes interviewées. Pour cela, j’adhérai au mouvement, en notant sur le bulletin d’adhésion mon intention de participer activement au comité local de mon quartier, celui regroupant le cinquième et le treizième arrondissement de Paris. Cette adhésion me permit de recevoir, à partir du mois de décembre 2004, le magazine trimestriel de l’association, Différences – dont je pus aussi consulter en bibliothèque des numéros plus anciens – ainsi que des « lettres de l’adhérent ». Cette phase de documentation à partir des publications, plaquettes informatives, ou encore du site internet de l’association, me permit de me familiariser avec le discours officiel du MRAP, ainsi qu’avec les activités qu’il développe. Ces lectures me permirent de découvrir une grande diversité de thèmes abordés par l’organisation. Au fil de l’enquête, je pus recueillir d’autres documents, tels que les statuts ou le règlement intérieur du MRAP, ou encore des contributions personnelles aux débats internes que me fournirent certains militants interviewés. N’étant pas contacté par le comité local auquel j’étais rattaché, je parvins à obtenir les coordonnées personnelles de la responsable de celui-ci, par l’entremise de la responsable nationale des adhésions. En février 2005, je pus alors participer à une réunion de ce comité, chez la responsable de celui-ci, selon une fréquence trimestrielle. J’informai immédiatement les personnes présentes des raisons de mon adhésion, et donc de ma volonté de réaliser des entretiens avec les personnes qui l’accepteraient. Leur accueil fut cordial et plusieurs des militants présents me promirent de « répondre à mes questions ». En Souhaitant m’intéresser prioritairement à la dimension politique – c’est-à-dire à la mise en jeu de catégories politiques dans des revendications orientées vers les pouvoirs publics - de l’association plus qu’à sa structure organisationnelle, mon but initial fut de rencontrer des militants actifs dans l’association, avec l’intention de diversifier, dans la mesure du possible, l’échantillon des personnes interviewées. Pour cela, j’adhérai au mouvement, en notant sur le bulletin d’adhésion mon intention de participer activement au comité local de mon quartier, celui regroupant le cinquième et le treizième arrondissement de Paris. Cette adhésion me permit de recevoir, à partir du mois de décembre 2004, le magazine trimestriel de l’association, Différences – dont je pus aussi consulter en bibliothèque des numéros plus anciens – ainsi que des « lettres de l’adhérent ». Cette phase de documentation à partir des publications, plaquettes informatives, ou encore du site internet de l’association, me permit de me familiariser avec le discours officiel du MRAP, ainsi qu’avec les activités qu’il développe. Ces lectures me permirent de découvrir une grande diversité de thèmes abordés par l’organisation. Au fil de l’enquête, je pus recueillir d’autres documents, tels que les statuts ou le règlement intérieur du MRAP, ou encore des contributions personnelles aux débats internes que me fournirent certains militants interviewés. N’étant pas contacté par le comité local auquel j’étais rattaché, je parvins à obtenir les coordonnées personnelles de la responsable de celui-ci, par l’entremise de la responsable nationale des adhésions. En février 2005, je pus alors participer à une réunion de ce comité, chez la responsable de celui-ci, selon une fréquence trimestrielle. J’informai immédiatement les personnes présentes des raisons de mon adhésion, et donc de ma volonté de réaliser des entretiens avec les personnes qui l’accepteraient. Leur accueil fut cordial et plusieurs des militants présents me promirent de « répondre à mes questions ». En

Ainsi, dans l’intention de rencontrer des militants issus de divers comités locaux, j’envoyai un courrier électronique collectif sur la liste de discussion interne du MRAP, pour solliciter des personnes acceptant d’être interviewées. Si nous n’avons évidemment pas prétendu construire un échantillon représentatif de l’ensemble des militants du MRAP, nous avons interviewé un nombre à peu près équivalent d’hommes et de femmes, nous accordant avec les statistiques dont nous disposions, et qui montraient l’existence d’une mixité sexuelle presque paritaire. Sur les dix personnes interviewées, sept ont été rencontrées par l’intermédiaire de ce courrier électronique. Quatre interviewés se distinguent des autres comme des cas à part : un premier est le seul interviewé à n’avoir jamais milité activement dans le mouvement. Un deuxième occupe une position particulière puisqu’il fait partie des quelques salariés du MRAP, travaillant comme juriste à la permanence juridique. Les deux autres ne font pas partie du MRAP. L’un été rencontré un peu par hasard, ayant curieusement répondu positivement à mon courrier électronique, bien que sa présence sur la liste de diffusion électronique ne soit pas entièrement due au hasard, puisque cette personne est un militant politique qui s’engagea ponctuellement sur le problème précis du racisme, mais cela dans le cadre de son activité professionnelle de médecin. L’autre est une personne ayant fait partie des initiateurs d’un manifeste lancé par des associations et des personnes autonomes sous le Ainsi, dans l’intention de rencontrer des militants issus de divers comités locaux, j’envoyai un courrier électronique collectif sur la liste de discussion interne du MRAP, pour solliciter des personnes acceptant d’être interviewées. Si nous n’avons évidemment pas prétendu construire un échantillon représentatif de l’ensemble des militants du MRAP, nous avons interviewé un nombre à peu près équivalent d’hommes et de femmes, nous accordant avec les statistiques dont nous disposions, et qui montraient l’existence d’une mixité sexuelle presque paritaire. Sur les dix personnes interviewées, sept ont été rencontrées par l’intermédiaire de ce courrier électronique. Quatre interviewés se distinguent des autres comme des cas à part : un premier est le seul interviewé à n’avoir jamais milité activement dans le mouvement. Un deuxième occupe une position particulière puisqu’il fait partie des quelques salariés du MRAP, travaillant comme juriste à la permanence juridique. Les deux autres ne font pas partie du MRAP. L’un été rencontré un peu par hasard, ayant curieusement répondu positivement à mon courrier électronique, bien que sa présence sur la liste de diffusion électronique ne soit pas entièrement due au hasard, puisque cette personne est un militant politique qui s’engagea ponctuellement sur le problème précis du racisme, mais cela dans le cadre de son activité professionnelle de médecin. L’autre est une personne ayant fait partie des initiateurs d’un manifeste lancé par des associations et des personnes autonomes sous le

Dans le but d’étudier une diversité d’acteurs antiracistes, nous nous posâmes la question de l’utilité d’élargir le champ social étudié à d’autres organisations antiracistes. Mais la diversité des orientations thématiques du MRAP, prétendant à un antiracisme universaliste, ainsi que son histoire déjà ancienne et riche, nous incita à nous concentrer sur cette association. Afin d’objectiver le champ social de l’antiracisme, dans lequel évoluent les militants interviewés, nous serons conduits à dresser un bref état des lieux des grandes organisations antiracistes, et à nous pencher sur l’évolution de l’antiracisme politique dans la société française. Au niveau individuel des enquêtés, il s’agira de faire ressortir les caractéristiques objectives de leurs trajectoires sociales et politiques, afin de les mettre en relation avec le sens qu’ils donnent à leur engagement.

D’un point de vue méthodologique, l’utilisation d’outils statistiques permet la recherche des régularités liées aux structures sociales de l’univers social étudié, et donc d’effectuer cette première rupture constitutive d’un objet scientifique. La méthode statistique, pour être appliquée efficacement, ne dépend pas seulement de questions techniques. Sa bonne utilisation dépend étroitement de son adaptation à l’objet appréhendé. Elle a le mérite de révéler assez facilement des régularités qui existent au sein d’une population déterminée, notamment du point de vue de caractéristiques sociales objectives et exclusives telles que l’âge, le sexe ou encore la profession exercée. Elle devient plus difficile à manier dès qu’il s’agit d’étudier la subjectivité des agents sociaux, c’est-à-dire les catégories de pensée qu’ils mettent en œuvre dans la conduite de leur vie, et qu’ils utilisent lorsqu’ils sont amenés à livrer leur expérience à l’enquêteur. La construction rigoureuse d’un questionnaire à visée quantitative nécessite alors de s’appuyer sur d’autres techniques d’investigation, à savoir l’entretien qualitatif, l’observation ou encore la recherche documentaire. Etant limités dans nos ressources de temps et de moyens matériels, nous n’avons pas conçu le projet d’utiliser cette méthode. Cependant, c’est avec profit que nous avons pu exploiter un certain nombre de données statistiques sur les militants du MRAP, réalisées par la sociologue Johanna Siméant, et exposées dans son ouvrage titré La cause des sans-papiers [1998].

II / L’antiracisme en France : des valeurs mythiques de l’Histoire aux crises du présent.

1 – La place du MRAP parmi les principales organisations antiracistes françaises.

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, la société française a vu émerger plusieurs organisations politiques se réclamant explicitement et prioritairement de la cause antiraciste. Aujourd’hui, quatre d’entre elles se distinguent, de par leur relative institutionnalisation et leur importante renommée : la LDH, la LICRA, le MRAP, et SOS racisme. Chacune d’elles s’est formée dans un contexte social et politique particulier, dont il s’agit ici d’esquisser les grandes lignes.

Le 15 octobre 1894, le capitaine Alfred Dreyfus (1859 - 1935), alsacien et juif, était condamné pour espionnage au profit de l'Allemagne, dégradé puis envoyé dans le bagne de l'Ile du Diable. De 1894 à 1906, date de la réhabilitation de Dreyfus, l'Affaire divisa la France entière et la République naissante: l'Armée, l'Eglise, les partis politiques, aucun corps, aucune institution, aucun citoyen n'échappa à la discorde. C'est au cours de la campagne de révision du procès qui commença en 1897 que la Ligue des Droits de l'Homme vit le jour. A travers son combat pour l'acquittement de Dreyfus, la LDH relia la lutte contre l’antisémitisme à des problématiques plus larges telles que la justice sociale, l'illégalité, l'arbitraire, la xénophobie et la défense de ce qui deviendra la laïcité. Rétrospectivement, on peut y voir un moment-clé qui vit se dessiner les grandes caractéristiques du discours antiraciste dans la société française, marqué par une grande propension à l’universalisme. Ainsi, les discours politiques antiracistes de cette période, tels que le fameux « J’accuse » d’Emile Zola, n’accordèrent pas d’importance à l’identité juive de Dreyfus en tant que telle, mais mirent d’avantage l’accent sur des principes démocratiques universels tels que la liberté de conscience. A travers la naissance de la LDH, l’organisation politique de la cause antiraciste – et plus généralement de celle des droits de l’Homme - est portée par une catégorie sociale nouvelle, celle des intellectuels, qui s’affirme alors en tant que groupe ayant une vocation politique, notamment à travers le « manifeste des intellectuels », paru en 1898 Le 15 octobre 1894, le capitaine Alfred Dreyfus (1859 - 1935), alsacien et juif, était condamné pour espionnage au profit de l'Allemagne, dégradé puis envoyé dans le bagne de l'Ile du Diable. De 1894 à 1906, date de la réhabilitation de Dreyfus, l'Affaire divisa la France entière et la République naissante: l'Armée, l'Eglise, les partis politiques, aucun corps, aucune institution, aucun citoyen n'échappa à la discorde. C'est au cours de la campagne de révision du procès qui commença en 1897 que la Ligue des Droits de l'Homme vit le jour. A travers son combat pour l'acquittement de Dreyfus, la LDH relia la lutte contre l’antisémitisme à des problématiques plus larges telles que la justice sociale, l'illégalité, l'arbitraire, la xénophobie et la défense de ce qui deviendra la laïcité. Rétrospectivement, on peut y voir un moment-clé qui vit se dessiner les grandes caractéristiques du discours antiraciste dans la société française, marqué par une grande propension à l’universalisme. Ainsi, les discours politiques antiracistes de cette période, tels que le fameux « J’accuse » d’Emile Zola, n’accordèrent pas d’importance à l’identité juive de Dreyfus en tant que telle, mais mirent d’avantage l’accent sur des principes démocratiques universels tels que la liberté de conscience. A travers la naissance de la LDH, l’organisation politique de la cause antiraciste – et plus généralement de celle des droits de l’Homme - est portée par une catégorie sociale nouvelle, celle des intellectuels, qui s’affirme alors en tant que groupe ayant une vocation politique, notamment à travers le « manifeste des intellectuels », paru en 1898

La Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, quant à elle, naquit en 1928, sous le nom de LICA, ajoutant le « R » de « racisme » à son acronyme en 1936. Elle fut fondée en réaction à la montée de l’antisémitisme et des pogroms en Russie, et lia ensuite son discours à l’anti-fascisme du Front populaire.

La création d’SOS-Racisme, en 1984, répondit à de nouvelles préoccupations, dans un contexte de crise économique. Le début des années 80 fut le moment de nouveaux défis pour le mouvement antiraciste, avec la montée de l’extrême droite et particulièrement du Front national, stabilisant sa base électorale entre 12 et 14% des votes, ainsi qu’avec l’émergence de ce que l’on nommera le mouvement « beur », c’est- à-dire l’entrée sur la scène publique des jeunes – français ou étrangers – dits de la « seconde génération », enfants d’immigrés, qui créèrent des organisations autonomes, en réaction à différentes agressions, crimes, attentats et « bavures policières » à caractère raciste. Cette période fut marquée par des explosions de révolte (étés 81 et suivants), des grèves de la faim (1981 et 1983), ainsi que par la création de « collectifs » et de groupes autonomes. Cette dynamique culmina dans les « marches » de 1983 (« Marche pour l’égalité et contre le racisme ») et 1984 (« Convergence 1984 »). C’est dans le sillage de ces mouvements, soutenus par les grandes organisations antiracistes (LDH, LICRA et MRAP) mais œuvrant indépendamment d’elles, que Sos-Racisme fut créée.

De par les conditions de sa création et sa rapide croissance, ce mouvement se démarqua fortement de ceux précités. Lié de près à la gauche socialiste arrivée au pouvoir en 1981, dont étaient issus une grande partie de ses membres fondateurs, il positionna pourtant ses revendications antiracistes dans une perspective apolitique, prétendant lutter pour des valeurs purement morales. Cette orientation créa une rupture avec un passé proche dans lequel une mobilisation déclarée apolitique avait toutes les

chances d’être stigmatisée par les mouvements antiracistes de gauche. Une deuxième spécificité des premières années d’activité d’SOS-Racisme se trouve dans les répertoires d’action qu’il utilisa. La notion de « répertoire d’action collective » a été élaborée par Charles Tilly [1986] pour décrire les formes plus ou moins codifiées que prend l’action protestataire. Les répertoires d’action qu’utilisa alors SOS-Racisme renouvelèrent ceux de l’antiracisme classique issu de la lutte antifasciste, essentiellement axé sur des « standards » éprouvés tels que la manifestation, mais aussi sur la notion d’éducation populaire et sur celle de solidarité, forgée dans les réseaux d’entraide organisés dans la résistance à l’occupation nazie. Ce nouveau mouvement fit d’abord campagne en direction de la jeunesse, distribuant de nombreux badges portant le slogan « Touche pas à mon pote » et organisant de grands concerts. Il parvint à mobiliser, lors de ses premières actions, de nombreux soutiens médiatiques. En quelques mois, SOS-Racisme acquit une popularité supérieure à celle des autres organisations antiracistes, ce qui lui permit de réunir, dès le mois de juin 1985, des centaines de milliers de personnes, place de la Concorde, à Paris. L’association s’efforça de revivifier les revendication antiracistes, tâchant de les rendre plus populaire en mettant l’accent sur une expression positive des différences culturelles et du métissage, dans le but de contribuer au développement d’un consensus antiraciste le plus large possible.

Pour Philippe Juhem [1998], cette mise en forme à la fois « juvénile » et « apolitique » réunit les conditions de cet important succès, « à la fois à l’égard de journalistes qui se réjouissent de « la fin des idéologies » et vis-à-vis de jeunes qui sont proportionnellement plus nombreux qu’auparavant à être indifférents à l’égard de « la politique » ». En mettant en avant des valeurs positives liées à la jeunesse et faisant appel à ce qui pouvait réunir les Français de toutes origines, au-delà des clivages politiques, SOS-Racisme permit de renforcer l’expression publique d’un large consensus antiraciste, face à la montée de l’extrême droite. Cette stratégie lui permit de bénéficier de subventions importantes de la part de l’Etat, alors gouverné par le Parti socialiste. Cependant, si son positionnement apolitique lui permit de devenir très rapidement un acteur antiraciste aux ressources importantes malgré un nombre relativement faible de militants, il lui valut aussi un certain nombre de difficultés vis-à- vis de son implantation militante « sur le terrain ». Sa proximité avec le Parti socialiste, Pour Philippe Juhem [1998], cette mise en forme à la fois « juvénile » et « apolitique » réunit les conditions de cet important succès, « à la fois à l’égard de journalistes qui se réjouissent de « la fin des idéologies » et vis-à-vis de jeunes qui sont proportionnellement plus nombreux qu’auparavant à être indifférents à l’égard de « la politique » ». En mettant en avant des valeurs positives liées à la jeunesse et faisant appel à ce qui pouvait réunir les Français de toutes origines, au-delà des clivages politiques, SOS-Racisme permit de renforcer l’expression publique d’un large consensus antiraciste, face à la montée de l’extrême droite. Cette stratégie lui permit de bénéficier de subventions importantes de la part de l’Etat, alors gouverné par le Parti socialiste. Cependant, si son positionnement apolitique lui permit de devenir très rapidement un acteur antiraciste aux ressources importantes malgré un nombre relativement faible de militants, il lui valut aussi un certain nombre de difficultés vis-à- vis de son implantation militante « sur le terrain ». Sa proximité avec le Parti socialiste,

Dans l’optique de renforcer sa cohérence interne et son implantation locale, SOS- Racisme sera amené à politiser ses propos, qui déclencheront un revirement d’un grand nombre de ses appuis médiatiques et politiques. Deux prises de position provoqueront une rupture de consensus autour de l’association. La première verra SOS-Racisme s’opposer à l’exclusion de l’école prononcée contre deux élèves musulmanes portant le foulard, à Creil, en 1989. La deuxième sera sa participation aux mobilisations protestant contre la guerre du Golfe. Dans les deux cas, le mouvement fut à rebours de la majorité

de l’opinion, et à fortiori de celle exprimée par les partis politiques et les médias, qui furent les principaux relais de son rapide développement. SOS-Racisme deviendra alors plus radical et critique dans sa dénonciation du racisme, notamment à travers la critique des politiques d’intégration, ce qui le conduira à se rapprocher des organisations antiracistes traditionnelles. La première phase de l’activité de cette association consista donc en un mode d’action collective mettant en avant des valeurs simples et consensuelles, illustrant la propension de l’antiracisme français à bâtir un projet hégémonique, par une sorte d’idéalisation des rapports entre les différentes fractions de la société française, évitant la mise au jour de conflits sociaux concrètement liés à l’expression du racisme dans la société française. Ensuite, ce n’est que par son engagement dans des conflits politiques particuliers, mettant en cause des responsabilités particulières, que SOS-Racisme put conserver une base militante assez forte pour agir localement, et donc devenir une organisation à part entière du mouvement social antiraciste.

A travers plusieurs de ses publications, le MRAP décrit sa naissance comme principalement issue d’une organisation créée pendant la Seconde guerre mondiale, le Mouvement national contre le racisme. En septembre 1942, le MNCR fut créé à l’initiative de résistants membre des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée) qui estimèrent qu’une lutte spécifique contre le racisme devait être

menée dans le cadre général du combat pour libérer la France. Son activité consista à « réunir des résistants juifs et non-juifs pour des actions à caractère humanitaire : cacher des enfants qui risquaient la déportation, organiser des évasions et le passage des frontières, fabriquer des faux papiers… et obtenir de l’aide au-delà des milieux juifs, notamment parmi les milieux catholiques » [Lévy, 1999]. Ce groupement s’efforça aussi de contrecarrer l’idéologie raciste de l’occupant et de Vichy, notamment grâce à deux journaux clandestins : J’accuse en zone nord et Fraternité en zone sud. Ces brochures accordaient une place importante à des contributions intellectuelles, avec par exemple la publication, en 1943, d’une Psycho-analyse de l’antisémitisme, écrite par le philosophe Vladimir Jankélévitch. Le MRAP eut aussi comme base une autre organisation résistante, l’UJRE (Union des juifs pour la résistance et pour l’entraide), qui lui donnera son journal, Droit et liberté. Au lendemain de la guerre fut créée une large organisation antiraciste, l’Alliance antiraciste, composée de la LICRA et du MNCR. Mais très vite, de sérieuses tensions apparurent entre l’ancienne génération de ceux qui étaient à la tête de la LICRA avant la guerre (menés par Bernard Lecache) et les plus jeunes (parmi lesquels se distingua Charles Palant, qui deviendra plus tard président du MRAP), ainsi qu’entre gaullistes et communistes. L’alliance éclata après son premier congrès en 1947, et mena à la création du MRAP, en 1949, au milieu de vifs reproches qui durèrent quelques années.