Introduction Sur la semantisation du rythme dans la D

Sur la sémantisation du rythme dans la Divina Commedia de Dante

1. Introduction

Une observation de caractère général qui s’impose, je pense, à quiconque aura choisi de se pencher de façon systématique sur la langue et le style de la Divine Comédie de Dante, c’est qu’au sein de ce chef-d’œuvre de la littérature occidentale règne un équilibre quasiment parfait entre deux forces structurales opposées : d’une part la symétrie, d’autre part la variation. Le phénomène ici appelé « variation » résulte surtout de l’introduction, aux niveaux inférieurs du texte, d’éléments asymétriques contrastant avec les symétries patentes des niveaux supérieurs. C’est là une problématique à laquelle j’ai consacré des recherches approfondies qui visaient ultérieurement à l’établissement d’une théorie pour la critique des traductions 1 . Ce faisant, j’ai eu la possibilité de découvrir dans le texte dantesque toutes sortes de subtilités d’une beauté aussi inattendue qu’éblouissante. Dans le présent article, j’en présenterai deux exemples reliés à un phénomène parfois désigné de « sémantisation » 2 . Comme j’emploierai ce terme, la sémantisation consiste en ceci que certains traits formels du style d’un auteur donné ont été utilisés non pas uniquement pour éviter la monotonie ou assurer au texte un certain nombre d’éléments d’ordre « décoratif », mais aussi pour renforcer ou mettre en lumière l’effet de ces mêmes traits par le biais d’un parallélisme qu’ils font apparaître avec les structures sémantiques du texte. Parmi les traits susceptibles de jouer ce rôle je citerais la métrique, les sonorités, l’ordre des mots et le vocabulaire en particulier dans une position saillante comme la rime. L’hypothèse que j’avancerai ici, c’est que, dans la Divine Comédie, Dante s’est servi du rythme du vers – parmi d’autres moyens – pour réaliser des effets de sémantisation. À l’appui de ma thèse, j’apporterai deux exemples concrets de caractère assez divers. Dans le premier, les transitions rythmiques ont été utilisées pour signaler une frontière narrative ; dans le second, une configuration rythmique semble jouer un rôle mimétique consistant à préfigurer un élément capital dans le récit consécutif. Certes, cela peut être difficile de savoir s’il s’agit effectivement d’effets prémédités réalisés par un poète qui maîtrise parfaitement ses moyens d’expression ou s’il s’agit plutôt d’effets réalisés de façon tout à fait intuitive par un poète extrêmement doué. Or, comme nous le verrons, les données statistiques semblent parler en faveur de l’hypothèse de la 1 Cette recherche a bénéficié d’une subvention de Riksbankens Jubileumsfond 2001-2004, dont je tiens à exprimer ma profonde gratitude. Un livre à ce sujet vient d’être publié Heldner 2008. Voir aussi Heldner à paraître: « La critique des traductions – une théorie pour l’évaluation d’œuvres poétiques en vers ». 2 À ce sujet, voir p.ex. Lotman 1973, p. 50. 1 préméditation. Quoi qu’il en soit, les faits textuels sont là à admirer par tout lecteur acceptant de prendre la peine de lire le texte de Dante avec une attention soutenue.

2. Mètre et rythme dans une métrique syllabique