C2 / Multi-négociations

C2 / Multi-négociations

(Discu. : L. Scalambrin, HES-SO et Ch. Dargère, Uni. de St-Etienne) Accéder au terrain en Palestine : faire ses preuves LECOQUIERRE Marion, Université Aix-Marseille, Idemec (Institut d'ethnologie méditerranéenne,

européenne et comparative – UMR7307), [email protected] Terrain : Ma thèse de doctorat, réalisée à l’Institut universitaire européen (Florence, Italie), soutenue

en 2016, porte sur la dimension spatiale des pratiques de résistance palestiniennes en Israël et dans les Territoires palestiniens. Cette recherche inductive, transdisciplinaire, associant géographie et sociologie des mouvements sociaux, a été menée suivant une méthodologie ethnographique, avec un travail de terrain effectué entre 2011 et 2016 au cours de différentes périodes d’immersion sur les trois lieux étudiés : al-Araqib, un village bédouin du Néguev, Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, et Silwan, un quartier de Jérusalem Est.

Cette communication s’intéressera aux questions éthiques et pratiques soulevées par l’accès au terrain en Palestine et en Israël, en abordant notamment l’importance de la dimension politique. J’aborderai notamment la nécessaire négociation des attentes des enquêtés vis-à-vis du chercheur en termes de positionnement politique et me concentrerai ensuite sur un autre aspect central de la négociation et

de l’accès au terrain : désamorcer la suspicion, affronter la figure emblématique de l’espion et le spectre omniprésent de l’espionnage.

Une des dimensions essentielles de l’accès au terrain auprès de populations palestiniennes, et surtout dans des lieux de mobilisation, est de « faire ses preuves » : le terrain a en effet une dimension extrêmement politique. Le comportement et les antécédents du chercheur, mais aussi les mots et les catégories utilisés, sa source de financement parfois, revêtent une importance particulière. Ils seront scrutés et mesurés plus ou moins soigneusement selon la situation et les interlocuteurs afin d’évaluer l’implication et le degré d’activisme du chercheur. Des questions « test » vont chercher à pousser le chercheur à prendre parti de manière claire et à révéler dans quel « camp » il est, et quelle cause, israélienne ou palestinienne il ou elle soutient. Outre le côté très manichéen de ce positionnement, cela pose des questions éthiques, politiques, et soulève d’autres problèmes en termes de négociation et d’accès au terrain, un activisme trop fort ou trop clair pouvant créer d’autres obstacles notamment pour accéder à la région elle-même, par exemple par refus d’accès ou de visa à l’aéroport de Tel Aviv. L’observation participante peut ainsi représenter une méthode à double tranchant.

Une autre dimension essentielle à négocier pour le maintien sur le terrain, notamment à Jérusalem Est, était de maîtriser ou contrer la suspicion que la présence du chercheur – ou de personnes extérieures à la communauté – peut déclencher. La peur de l’espion, du collaborateur, est en effet commune. Si la recherche n’a pas été marquée par de grosses difficultés liées à cette question, elle a néanmoins toujours été présente en filigrane, donnant lieu à un type de négociation constant. Souvent non-dit, échappant en partie au contrôle du chercheur, ce type de négociation peut requérir des mesures explicites. Une des techniques adoptées durant ces terrains étaient ainsi de désamorcer de possibles suspicions de manière frontale, en abordant le sujet de manière humoristique.

L’attention portée à la mise en scène de soi pour l’accès et le maintien sur le terrain de recherche : enjeux stratégiques et éthiques

Frédérique Leresche, Haute école spécialisée de la Suisse occidentale HES-SO, EESP, PRN LIVES, [email protected]

Terrain : 19 mois de terrain ethnographique depuis octobre 2016 dans un centre de loisirs qui propose notamment des activités de décroissance, une association de défense des droits, une fondation qui oriente son action sur un public qui vit un déséquilibre budgétaire passager et qui distribue des paniers

de nourriture. Plus un terrain en cours de négociation dans structure d’urgence pour personnes dans la rue.

Dans le cadre d’une recherche ethnographique que je mène depuis janvier 2016, je m’intéresse au non- recours raisonné aux droits sociaux en Suisse. Le non-recours raisonné concerne les personnes qui ne bénéficient pas d’une prestation alors que les conditions d’éligibilité sont réunies et qu’elles savent, au moins partiellement, où et comment activer leurs droits. Je pars du postulat que le non-recours raisonné est l’expression d’une critique (Boltanski, 2009). Cependant, le caractère hégémonique (Gramsci, 1978- 1996; Smart, 1989) de la positivité du droit social a pour conséquence que cette critique n’est ni entendue, ni communément entendable. Dans ce sens, il s’agit d’une critique subalterne (Sarker, 2015) que j’analyse en utilisant les outils développés par la recherche décoloniale (Hill Collins, 2008; Mignolo, 2011; Quijano, 2000), et subalterne (Das et Poole, 2004; Spivak, 1988). Cette manière de considérer le non-recours a des conséquences sur l’accès au terrain, puisque je cherche d’une part à atteindre une population qui n’est pas directement identifiable et d’autre part que je dois arriver à convaincre les responsables d’institutions qu’il existe des personnes qui ne recourent pas et qui ont de bonnes raisons

de le faire alors même que le non-recours dans son caractère raisonné questionne la pertinence du système social dans lequel ces mêmes institutions sont insérées.

Dans cette communication, j’articulerai le postulat de recherche (qui est que le non-recours raisonné est l’expression d’une critique qui n’est ni entendue ni entendable) avec le fait de convaincre les responsables d’institutions dans lesquels je désire faire un terrain, que cette recherche est pertinente, utile et légitime. Je détaillerai : 1) les enjeux hiérarchiques (au sein des institutions et entre les institutions) des choix préalables à la prise de contact (par exemple à quel·le interlocuteur·trice m’adresser en premier, au nom de qui – celui de mon directeur de thèse, mon propre nom, celui de la recherche, et pourquoi je l’ai toujours fait par mail d’abord). 2) Les arguments mobilisés dans le mail de contact et lors des étapes de négociation, qui sont directement liés au cadre théorique de la recherche (par exemple en ce qui concerne le point de vue situé, et qui m’ont permis de répondre aux suggestions voire injonctions faites par les personnes avec qui je négociais). 3) Les stratégies de mise en scène de soi que j’ai utilisées pour que le premier contact me soit favorable et que je puisse maintenir ma présence sur le terrain (choix des tenues, mais aussi du crayon ou du cahier pour prendre des notes, par exemple) et les questions d’éthique ou de morale que cela a posé.

Enquêter sur les religions, les discriminations et le racisme en milieu scolaire : comment négocier l’entrée sur le terrain lorsqu'il s'agit de questions vives socialement ? Stratégies, tensions et limites du travail ethnographique.

PONTANIER Émilie, laboratoire ECP, Université Lumière Lyon 2, [email protected] et MENARD Charlène, laboratoire ECP, Université Lumière Lyon 2, [email protected]

Terrain : collèges, académies de Paris-Versailles, Rhône-Alpes, Aix-Marseille [année scolaire 2016-2017] L’entrée sur les différents terrains a parfois été un moment délicat du fait du contexte socio-politique :

attentats de 2015 (Charlie Hebdo, Hypercasher, Bataclan, terrasses, Nice : plan Vigipirate), débats médiatiques vifs et parfois alarmants sur la laïcité, réforme d’ampleur des programmes du collège (2016), mise en place de l’EMC de l’école primaire au collège, sans compter les débats autour de l’identité et du récit national 5 . Dans ce contexte, plusieurs stratégies ont été testées à la fois pour entrer et se maintenir sur les terrains : de la prise de contact formelle à l’entrée « par la petite porte ». Pour réaliser une étude sur le temps long d’une année scolaire et avoir le plus de témoignages volontaires possible, il a souvent été nécessaire de réajuster « au cas par cas » ces stratégies, en fonction des établissements, de acteurs, mais aussi en fonction de l’actualité. Construire la relation de confiance préalable au témoignage notamment s’est faite par étape et grâce à une présence prolongée dans les établissements et les « quartiers ».

La négociation initiale de l’accès au terrain est façonnée soit par des anticipations (plus ou moins réussies) soit par des stratégies de spontanéité plus ou moins réalistes (le porte à porte). Toutefois « l’art de convaincre » le chef d’établissement n’est que la première épreuve auquel l’enquêteur est confronté puisqu’il s’agit ensuite de trouver des volontaires pour participer à l’enquête et de les convaincre du bien-fondé de la recherche. Patience et relations informelles ont été une ressource pour se maintenir sur le terrain et obtenir des volontaires, tout comme notre combinaison entre proximité et distance.

Si l’éthique de la recherche, les techniques de négociation et la présentation d’un sujet de recherche « chaud » ont été anticipées et testées au cours d’une enquête exploratoire, des éléments inattendus ont pu émerger dans la négociation pour l’entrée dans certains collèges. Nous développerons principalement les enjeux de la position du chercheur dans un contexte professionnel particulier : l’enseignement. Nous soulèverons les problématiques que peut poser ce type d’enquête dans un contexte social sensible. Quels termes utiliser pour présenter l’enquête ? Quels termes éviter ? Comment amener les enquêtés à parler de situations conflictuelles sans les brusquer ? La garantie de l’anonymat a par exemple été un élément important à mettre en avant tout au long de l’enquête.

5 Programme du cycle 4 : 5 ème ,4 ème ,3 ème . Ou encore, la place accordée à l’islam et au christianisme dans le programme d’histoire à l’époque médiévale. Le conseil supérieur des programmes bouge ses injonctions. Passage de thèmes au choix pour l’enseignant à des thèmes rendus

obligatoires après un vif débat sur la disparition d’événements constitutifs de l’histoire de France.