D2 / Négocier avec des groupes non-formalisés

D2 / Négocier avec des groupes non-formalisés

(Discu. : M. Kuehni, HES-SO et C. Grimard, UQAM)

Négocier sa place auprès des commanditaires et auprès des informateurs. L’exemple d’une immersion ethnographique dans le « monde de la rue »

BESOZZI Thibaut, Laboratoire Lorraine de Sciences Sociales, 2L2S, EA 3478, Thibaut.besozzi@univ- lorraine.fr

Terrain : Immersion ethnographie dans la « milieu de la rue » (espaces publics et structures de l’Urgence sociale, à Nancy, Région Grand-Est, France).

À partir d’une recherche post-doctorale en sociologie sur le territoire du Grand Nancy (ville centre d’une agglomération de 300 000 habitants localisée dans le Nord-Est de la France, Région Grand-Est), cette communication aux Ateliers Lausannois d’Ethnographie se déploie sur deux fronts. Un premier temps questionne les modalités de « montage » de la recherche inter-partenariale, tandis qu’un second temps interroge la place et la négociation du chercheur sur son terrain, auprès de ses informateurs, durant l’immersion ethnographique. Ainsi, les enjeux de la négociation concernent ici deux niveaux : celui de la négociation avec les partenaires de l’étude, qui ont des attentes et des objectifs qui peuvent diverger ; celui de la négociation avec les informateurs sur le terrain (les publics dits « en errance »), pour s’intégrer dans leur vie quotidienne et pouvoir recueillir les données nécessaires à l’étude.

En effet, en décrivant d’abord la manière dont s’est montée cette recherche (sur le plan partenarial, financier, technique et interpersonnel) et les différentes attentes des partenaires engagés, nous verrons d’abord un exemple concret de négociation et de collaboration entre des acteurs aussi divers que des élus, des représentants de l’État, des responsables d’entreprises (SNCF, réseaux de bus et tram, gérant

de parkings sous-terrain), des travailleurs sociaux et des militants associatifs. Les langages, les objectifs, les représentations et les intérêts des uns et des autres sont particulièrement hétérogènes et nécessitent des adaptations et des négociations de la part du chercheur afin de faire entendre ses possibilités, ses objectifs scientifiques et techniques, ainsi que ses moyens d’action et de compréhension. Ici, l’enjeu de la négociation consiste à cerner les attentes des différents commanditaires et à mettre la compréhension sociologique au service de leur volonté d’action (Weber, Le savant et le politique, 2003), quand bien même reste incertaine l’utilisation politique et sociale qui sera faite cette compréhension sociologique produite…

Dans un deuxième temps, c’est sur la négociation du chercheur avec ses informateurs que se focalise notre propos. Ici, il s’agit d’interroger comment le chercheur négocie sa place sur le terrain, c’est-à-dire non seulement l’entrée sur le terrain, mais aussi le maintien d’une position dans le milieu étudié et la sortie du terrain. En ce sens, l’ethnographie se définit plus comme une relation aux informateurs que comme une méthode d’observation : l’immersion ethnographique nécessite une réflexivité permanente de la part du chercheur. Aussi, nous développons la manière dont nous avons anticipé cette immersion, comment nous nous sommes présenté aux acteurs du « monde de la rue », ce que nous avons dit et ce que nous avons tu de notre démarche, les techniques que nous avons mis en place pour Dans un deuxième temps, c’est sur la négociation du chercheur avec ses informateurs que se focalise notre propos. Ici, il s’agit d’interroger comment le chercheur négocie sa place sur le terrain, c’est-à-dire non seulement l’entrée sur le terrain, mais aussi le maintien d’une position dans le milieu étudié et la sortie du terrain. En ce sens, l’ethnographie se définit plus comme une relation aux informateurs que comme une méthode d’observation : l’immersion ethnographique nécessite une réflexivité permanente de la part du chercheur. Aussi, nous développons la manière dont nous avons anticipé cette immersion, comment nous nous sommes présenté aux acteurs du « monde de la rue », ce que nous avons dit et ce que nous avons tu de notre démarche, les techniques que nous avons mis en place pour

À la rencontre d’une subjectivité qui nous échappe – Comment négocier un terrain avec des patients en situation de marginalité et de précarité ?

BUBECK Arnaud, laboratoire SAGE, Université de Strasbourg, [email protected] Terrain: CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de prévention en Addictologie) auprès de

patients souffrant de comorbidité psychiatrique et addictive. Période : de décembre 2016 à septembre 2017

L’objectif de l’enquête était de rencontrer des patients souffrant de comorbidité psychiatrique et addictive afin d’entendre leurs récits de vie et leurs parcours avec les services de soins en addictologie et en psychiatrie. Pour les rencontrer, nous avons fait appel aux professionnels qui les accompagnent et qui nous ont servi d’intermédiaires. De nombreuses difficultés sont apparues pour assurer la participation des patients, que ce soit l’interprétation des objectifs de l’étude par les intermédiaires, la réticence des patients face à l’étude, ou les débordements de violence qui ont pu avoir lieu. La négociation fut donc perpétuelle tout au long de l’enquête et avec toute une série d’acteurs très divers.

Les enjeux de la négociation sont doubles car ils doivent s’établir à la fois avec les patients pour les convaincre du bien-fondé de l’étude et de la démarche du chercheur, mais aussi auprès des professionnels pour bien leur expliquer les enjeux de la recherche. Il est en effet primordial de s’assurer que les acteurs qui établiront le lien ont bien saisi l’objet de l’étude, afin qu’ils n’orientent pas le discours des patients vers un élément issu de leur interprétation. Cette pré-négociation est indispensable pour que la deuxième phase de négociation auprès des patients se déroule dans les meilleures conditions possibles. Ces patients vivant dans des conditions parfois extrêmement précaires, la négociation peut s’avérer difficile voire impossible sans cette première étape. La deuxième phase va dépendre de nombreux facteurs, comme l’attitude et le discours du chercheur, sa présence auprès des patients sur un temps long, ainsi que sa capacité à saisir l’opportunité de la rencontre lorsqu’elle se présente. Certains événements de vie peuvent en effet amener le patient à vouloir s’exprimer, comme par exemple un refus d’une administration pour percevoir tel ou tel droit. La présence sur le terrain apparait donc comme un élément primordial pour pouvoir saisir les moments opportuns, même si l’attente peut parfois s’avérer longue et fastidieuse. L’enjeu principal reste la participation des patients à l’étude, qui demeure difficile tant dans la possibilité même de cette participation que dans l’exploitation des données. La résistance des patients et la négociation du chercheur doivent être analysées car elles constituent des données importantes pour mieux comprendre la situation de ces personnes et le rejet des services qui ne souhaitent ou ne peuvent pas négocier, par manque de temps, de connaissance ou d’intérêt.

Peut-on faire l’ethnographie d’un quartier ? FELDER Maxime, Université de Genève, [email protected] Terrain : Immeubles et rues à Genève, été 2015 – été 2016 Ma recherche porte sur les relations sociales en ville et sur la coexistence dans une perspective

microsociologique. Plutôt que d’étudier des quartiers, j’ai enquêté dans des immeubles résidentiels, dans lesquels j’ai tenté d’interviewer des représentants de chaque ménage. Dans chaque immeuble, j’ai eu recours à des personnes clés qui m’ont permis de rencontrer rapidement un petit groupe de résidents, interconnectés et investis dans la sociabilité de l’immeuble. Les difficultés de la négociation

de l’accès se sont véritablement imposées au moment de frapper à la porte de personnes inconnues – parfois même de leurs voisins de palier. Dans la littérature, ces personnes moins investies dans leur lieu

de vie, ou restant à l’écart, sont sous-représentées, et parfois même exclues de l’analyse des dynamiques locales. Dans les quatre immeubles étudiés, ces personnes ne sont pourtant pas des exceptions, et les analyses de réseaux que j’ai effectuées montrent qu’elles sont également prises dans des relations d’interdépendance avec leurs voisins, et font partie d’un ordre social local, dans lequel elles jouent des rôles spécifiques.

Ma communication portera d’une part sur les difficultés de pratiquer l’ethnographie sur un terrain sur lequel il n’est pas possible de se maintenir. J’évoquerai les moyens d’entrer en contact avec des résident-e-s souvent absent-e-s, méfiant-e-s et vivant dans des immeubles dont un code protège l’accès, ne serait-ce qu’aux boites aux lettres. Les convaincre de me parler d’un sujet qui les intéresse souvent peu ainsi que le choix des mots et des moments – ni trop tôt, les gens sont encore au travail, au sport, ni trop tard – se sont révélés cruciaux.

D’autre part, j’évoquerai le risque de s’en remettre aux « personnes clés », ainsi que sur les biais que cela provoque sur les représentations de la vie urbaine. Alors que certaines personnes tendent à s’exclure de l’enquête, en assurant qu’elles n’ont rien à dire sur le sujet, parce qu’elles sortent peu, viennent d’emménager, travaillent ou voyagent beaucoup, ont plusieurs logements, etc., d’autres s’imposent comme des « personnes clés ». Celles-ci sont les plus investies dans la sociabilité de l’immeuble, peuvent donner accès à d’autres informateurs et livrer quantité d’observations utiles. Cependant, ces informateurs/trices ne donnent accès qu’à leur propre réseau et à leur propre perspective « d’entrepreneurs du voisinage ». Il est en de même à l’échelle d’un quartier. Cette idée que l’on peut avoir « accès » à un quartier et en faire l’ethnographie en rencontrant « les bonnes personnes » semble reposer sur une lecture sommaire des classiques de l’ethnographie urbaine (Whyte 1943, Gans 1962). Je m’interroge ainsi sur le risque de préjuger de l’unité d’un terrain, voire de le réifier, en pensant qu’on peut – ou non – y avoir « accès ».