B4 / Convaincre et se laisser convaincre II

B4 / Convaincre et se laisser convaincre II

(Discu. : S. Grosjean, Uni. d’Ottawa et M. Perrenoud, Uni. de Lausanne).

Convaincre et se laisser convaincre : l’enquêteur face à la condition policière LE SAULNIER Guillaume, Cérep, Université de Reims Champagne-Ardenne, guillaume.le-saulnier@univ-

reims.fr Cette communication opérera une lecture réflexive de deux enquêtes de terrain consacrées aux

relations police-médias. La première, réalisée en 2008 sur une période de trois mois consécutifs, prend place dans les services actifs de la police française (une sûreté départementale et deux commissariats). La seconde se déroule, depuis 2015, au sein du Service d’information et de communication de la police (SICoP), rattaché à la haute hiérarchie.

D’abord, le propos se concentrera sur la négociation engagée pour l’accès à un terrain fermé, dans une institution bureaucratique où l’accord de la haute hiérarchie constitue à la fois une condition nécessaire, un verrouillage en bonne et due forme, et une menace pour le statut de l’enquêteur. La négociation concerne, conjointement, les modalités et les finalités du travail d’enquête : nous discuterons les manœuvres de la hiérarchie et des syndicats policiers pour instrumentaliser la recherche, et, en réponse, le travail de traduction opéré dans la rédaction du projet de recherche pour intégrer partiellement les préoccupations des décideurs, en vue d’obtenir leur accord et d’accéder à des données confidentielles.

Ensuite, nous expliciterons le travail de figuration et de persuasion engagé in situ, tout au long de la collecte des données, pour gagner et garder la confiance de nos interlocuteurs, dans une profession qui tend à cultiver l’opacité et à se méfier de tout regard extérieur. Cela suppose un mariage de raison avec les raisons policières. Reste que les professionnels de l’enquête ne sont pas sans clairvoyance face au « personnage » et aux techniques que l’enquêteur se donne.

Un premier enjeu de l’analyse consiste à saisir ce que le déroulement, les aléas et l’issue de ces négociations peuvent nous enseigner sur l’objet d’étude, et, avant tout, sur la relation d’enquête. Un second enjeu réside dans l’autoanalyse de la position de l’enquêteur vis-à-vis de la « condition policière », des changements constatés et des effets de contamination qu’elle recouvre, dès lors que l’ethnographie suppose d’éprouver les conditions d’existence et d’intérioriser les mentalités du groupe observé.

Nous mobiliserons chemin faisant divers matériaux : les contacts échangés avec les instances hiérarchiques, lors de la première demande d’accès au terrain ; la rédaction du projet de recherche proposé au chef du SICoP, dans le cadre de la seconde enquête ; les discussions et les complicités nouées sur le terrain avec nos informateurs et nos interlocuteurs, enregistrées dans le journal de terrain ; enfin, les ambiguïtés éprouvées dans le rapport à l’objet.

Se faire accepter comme ethnologue : les différentes techniques de persuasion à l'épreuve du terrain

MORIER Marc-Antoine,

innovation, marc- [email protected]

unknowns,

cabinet

de conseil

en

Terrain : Missions étrangères de Paris (MEP), institut catholique missionnaire - Pèlerinage de Vézelay,

Entrer et rester sont les principaux objectifs logistiques de l’ethnologue sur son terrain. A objectifs différents, forme de négociation différentes. Il s’agira donc d’analyser ces formes de négociation ; leur adéquation aux formes conventionnelles que prennent les rapports sociaux dans le milieu étudié, les ressources mobilisées ainsi que leur efficacité et leur limite pour remplir les objectifs poursuivis.

Les imprévus du terrain peuvent rendre inopérantes des techniques de négociation classique et placer le débat sur des sujets inattendus : au lieu des résistances attendues, j’ai été confronté à un accueil bienveillant lors de mon premier contact avec le responsable du groupe enquêté. La négociation s’est ainsi déplacée : venu faire accepter le principe de ma présence, me voilà en train d’improviser des ajustements identitaires sur mes croyances religieuses, mes engagements dans l’Eglise, etc. La première partie de mon intervention portera sur les enjeux de ce basculement de la négociation. Les différentes techniques mobilisées au cours du terrain seront également examinées ; et notamment l’imposition, soit une technique opposée à la négociation. C’est que l’admission formelle ne vaut pas admission pratique : autrement dit, il faut sans cesse se présenter et présenter son étude aux membres du groupe. La tentation de travailler incognito est alors souhaitable dans certaines situations mais sa révélation peut mettre le chercheur dans une situation qui s’apparente à de la communication de crise. Ainsi le terrain oscille entre négociation et imposition. Ceci dit, les infractions sont aussi révélatrices des codes implicites qui règlent les rapports sociaux. Tout l’enjeu est donc de savoir utiliser les échecs de la négociation pour en déduire des éléments sur le groupe étudié. Je détaillerai ces enjeux lors d’une deuxième partie.

Négocier l’enquête auprès d’un groupe patronal : le cas des dirigeants de médias nationaux, en France

SEDEL Julie, Université de Strasbourg, SAGE, [email protected] Terrain : Dirigeants de médias nationaux d’information de premier plan, entre 2011 et aujourd’hui Tirée de mon HDR en cours sur les dirigeants de médias d’information français de premier plan (PDG,

directeurs, directeurs de l’information), ma présentation se propose de présenter les enjeux de négociations inhérents à l’enquête auprès de cette « nébuleuse » professionnelle (Dubois, 2013).

Enquêter sur « l’élite » implique un rapport à l’objet et des méthodes spécifiques soulignent les chercheurs qui ont entrepris un retour réflexif. Une première étape de la recherche renvoie au rapport du chercheur à l’objet. Nourrie au biberon de « la critique des médias », mon habitus militant ne me plaçait pas dans les meilleures dispositions pour aborder le terrain. Aussi, le travail de mise à distance des prénotions (Durkheim, 1894) a constitué une condition impérieuse de la mise en place de l’enquête. La deuxième étape porte sur les méthodes d’investigation à utiliser. Soulignant le faible apport des entretiens pour le recueil systématique d’informations élémentaires sur les dirigeants (Bauer, 1999, p. 204), les chercheurs insistent sur la nécessité de combiner différentes méthodes de collecte de l’information (sources documentaires, archives, prosopographie… [Bauer, 1999 ; Laurens, 2007]). De façon générique, les entretiens auprès d’« imposants » (Chamboredon et al., 1994) posent question : rapport de domination symbolique, devoir de réserve (Cohen, 1999), primauté de l’identité professionnelle sur d’autres identités (familiales, amicales, etc.) (Offerlé, 1999, 2014, 2017 ; Laurens, 2007). Le fait de contrôler le discours afin de maintenir « la face » (Goffman, 1973), c’est-à-dire, le capital symbolique, éminemment fragile, de l’institution, peut également dissuader les chercheurs de recourir à cette méthode (Denord et al., 2011). Ces entretiens restent pourtant le seul moyen d’accéder physiquement à des univers fermés (ma participation aux réunions de conseil de surveillance de médias et à celles de syndicats patronaux de presse « dominants » m’ayant par exemple, été refusée).

Dans le cadre de cette communication, je m’attacherai principalement aux entretiens (une quarantaine) que j’ai menés, entre 2011 et aujourd’hui, conjointement à des recherches dans des archives, un travail statistique et une analyse documentaire. Je propose ainsi de dégager cinq enjeux de négociation correspondant aux différentes phases de l’enquête. Au préalable, il importe de souligner ce qui constitue un des résultats de l’enquête : la direction de média constitue un espace carrefour entre l’Etat, le champ économique, intellectuel, culturel, politique, journalistique. Aussi, l’accès au terrain est-il conditionné par la diversité des mondes d’appartenance (Becker, 1998) des dirigeants et des représentations de l’enquête sociologique, universitaire associées à ces mondes.

Le premier enjeu de négociation concerne l’accès aux enquêtés. Face aux refus, aux reports et aux annulations, fréquents, d’entretiens, la détermination et la persévérance s’avèrent prépondérants comme l’a souligné Michel Offerlé au sujet du patronat économique (Offerlé, 1999 ; 2014). Par exemple, j’obtenais un entretien avec le responsable de filiale d’un grand groupe, en réitérant ma demande, six ans après une première sollicitation. Les Etats-majors des médias, dans les groupes de taille importante, se distinguent par le maintien d’une zone tampon (constituée d’assistants, de directeurs de la communication), l’opposition « extérieur » et « intérieur » étant un des principes de fonctionnement

de cet univers. Le chercheur peut être tenté de court-circuiter ce dispositif par l’utilisation du téléphone de cet univers. Le chercheur peut être tenté de court-circuiter ce dispositif par l’utilisation du téléphone

de l’entretien pour le chercheur et pour l’enquêté ? L’enquêté peut retirer de l’entretien la satisfaction d’accomplir un devoir (pour les dirigeants de l’audiovisuel public et les directeurs de rédaction) mais il peut aussi bien considérer cet exercice comme une perte de temps. Ainsi, tous les actionnaires contactés ont refusé de m’accorder un entretien. Un représentant d’actionnaires, salarié d’un grand groupe de presse, reportera notre RDV qu’il bornera à 30 minutes. Le contexte d’incertitude dans lequel sont placés ces dirigeants peut aussi pousser certaines fractions de cette population à avoir une réflexion sur leurs parcours. Que négocie le chercheur à travers cet entretien ? Plutôt qu’un moyen de saisir « la vérité », c’est en faisant varier et en comparant les situations (un dirigeant et son successeur ou son prédécesseur, une femme et un homme, un nouvel entrant et un dirigeant en fin de carrière, etc.) que les logiques de structuration du groupe peuvent émerger. Le quatrième enjeu de négociation est le maintien de l’enquête dans le temps. Ayant une connaissance plus poussée des acteurs, des enjeux, je me sens aussi plus légitime à les rencontrer. Mais cet accès facilité auprès d’une fraction de la population se double d’une fermeture de la part d’autres fractions. Le cinquième enjeu de négociation qu’il est trop tôt d’aborder ici sera la restitution des résultats de l’enquête, avec en toile de fond, la question de l’anonymisation des personnes et celle du droit des enquêtés (Laurens, Neyrat, 2011).