D3 / Convaincre et se laisser convaincre III

D3 / Convaincre et se laisser convaincre III

(Discu. : N. Benelli, HES-SO et A. Monjaret, CNRS-EHESS)

Pouvoir faire parler de l’intimité. Les conditions d’une enquête sur l’expérience de visite d’Auschwitz

WADBLED Nathanaël, CREM, Université de Lorraine, [email protected] Terrain : Entretiens des participants d’une visite scolaire au Musée-Mémorial d’Auschwitz-Birkenau

(Pologne), le 15 janvier 2015 Les difficultés rencontrés ont eu lieux essentiellement à deux moments qui m’ont mis aux prises

respectivement avec l’administration de mon université et avec les acteurs présent sur le terrain lui- même. Dans le premier cas, l’enjeu était d’avoir l’autorisation de mener l’enquête et dans le second l’accès à ceux qui en était le sujet.

A un premier niveau, il m’a fallu prendre en compte les exigences du comité d’éthique de l’Université du Québec à Montréal avec qui j’étais en cotutelle. Après plusieurs semaines de négociation essentiellement menée par mon directeur de thèse, l’agrément a été refusé. J’ai donc dû renoncer à la cotutelle avec l’UQAM après y avoir passé deux ans et ai achevé ce travail avec l’autre université de la cotutelle (Université de Lorraine).

A un second niveau, il a fallu entrer en relation avec les élèves des classes choisies et les convaincre de participer à l’enquête. Il a fallu en amont identifier avec les enseignants la manière la plus adéquate de leur introduire mon enquête. Selon les cas, j’ai été autorisé à me présenter directement devant les élèves alors que dans d’autres, les enseignants ont présenté le projet en mon absence et suggéré aux élèves de me contacter.

Les moments de négociation les plus importants ont été induits par le caractère particulier du terrain étudié. S’intéresser au vécu intime et émotionnel des acteurs à qui il est demandé de se livrer implique toujours un certain nombre de contraintes à la fois pratiques et éthiques. Le refus de l’agrément par le comité d’éthique m’a fait prendre conscience de l’importance de prendre en compte cette questions,

ce qui a eu une influence sur les choix méthodologiques. De plus, la négociation des modalités pratiques d’accès aux participants de l’enquête m’a également forcé à expliciter et à élaborer les enjeux humains

de ma recherche, au-delà de son intérêt proprement scientifiques. Il a fallu montrer aux participants leur intérêt à participer à l’enquête et de mettre en place une relation de confiance. Cette négociation instaure cependant une ambiguïté fondée sur la perception d’une promesse d’intérêt et d’attention. Celle-ci doit être entretenue afin de recueillir des données, mais pas trop poussée. Il s’agit de pas induire

de déception à la fin de l’entretien, qui pourrait avoir des effets néfastes sur la capacité future des participants à partager leurs émotions.

Négociations contrastées auprès d'un centre de santé sexuelle et d'un centre de santé communautaire de Suisse romande

DEBERGH Marlyse, Université de Genève, [email protected] Terrain (depuis 2016) : “Santé sexuelle: ethnographie des mises en pratique plurielles d’un universel” Dans ma recherche ethnographique, je m'intéresse aux processus de mise en pratique des politiques

de santé sexuelle dans deux structures de santé en Suisse romande. La première structure d’intérêt est un centre de consultation en santé sexuelle pour le tout public et la deuxième structure est un centre

de santé communautaire ayant pour public cible les hommes gays, les hommes bisexuels, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), les personnes trans* et les travailleurs du sexe hommes (j’utiliserai pour cette structure la dénomination de « centre de santé communautaire »).

Bien que ces deux institutions soient a priori difficiles d'accès puisqu'elles proposent des consultations relatives à la sexualité qui soulèvent in fine des questions éminemment politiques et constitutives de

relations de pouvoir (Éric Fassin, 2009, p. 15) 9 , j’ai relevé des processus de négociation contrastés. En effet, lors des négociations d'accès au terrain, j'ai rencontré plus de méfiance et de réticence auprès des interlocutrices des centres de santé sexuelle, qu'auprès de l’interlocutrice de l'unique centre de santé communautaire contacté.

Il s'agit dans cette communication de revenir sur ces processus de négociation contrastés, afin de comprendre et d'analyser ce qu'ils peuvent nous apprendre sur les logiques internes des structures étudiées. Par exemple, les négociations d'accès au terrain avec le centre de santé communautaire reflètent une structure de type associative et militante, en pleine expansion et donc ayant un potentiel besoin de visibilité et de légitimité. De plus, le public de cette structure est composé majoritairement d'hommes gays, une population fortement médicalisée en raison de l'histoire du VIH/SIDA et donc habituée à côtoyer des professionnelLEs en blouses blanches (médecins, psychologues et chercheurSEs du domaine de la santé). A l'inverse, les centres de santé sexuelle sont des structures établies depuis les années 1960 qui sont stables, même si certaines traversent actuellement une crise financière. Ce sont également des structures où les professionnelles collaborent avec des gynécologues, obstétricienNEs et sages-femmes, mais rencontrent peu de chercheurSEs mobilisant une méthode inductive et qualitative.

Par ailleurs, cette communication a pour objectif d'amener une réflexion épistémologique plus large sur les renseignements que nous fournissent les négociations à propos des relations d'enquête. En effet, les processus de négociations nous informent sur le rapport qu’entretien l_ chercheurSE avec son terrain en fonction de dynamiques consubstantielles de sexe, de genre, de race et de classe. Dans le cadre de mon ethnographie, je relève que l'art de convaincre et l'accès au terrain dépendent de la place occupée par l_ chercheurSE dans l'espace social. Par exemple, avec les centres de santé sexuelle, j'ai relevé une oscillation entre méfiance face à mon statut de chercheuse en sciences sociales et manque

de crédit que l’on m’accordait en raison de mon âge et de mon sexe. Toutefois, ma posture a également pu être avantageuse dans les négociations. Par exemple, j'ai pu profiter de ma casquette d’ « étudiante » et il est possible que ma présence au sein d'un centre de santé sexuelle aurait été plus

9 Fassin, Eric. 2009. Le sexe politique. Genre et sexualité au miroir transatlantique. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences

sociales sociales

carnet de notes de terrain. Suivant la démarche de la sociologue Mathilde Bourrier (2017) 10 , je fais appel à des matériaux d’enquête mis à distance et consignés dans les marges de mon carnet de terrain. En effet, dans ma recherche, je me suis rapidement rendue compte que les échanges téléphoniques, les courriels électroniques des négociations et les observations relevées lors de la présentation de mon projet de thèse aux colloques des centres de santé sexuelle constituaient des données ethnographiques à part entière. Ce matériel ethnographique est donc mobilisé activement dans cet atelier pour faire parler le terrain et développer une réflexion épistémologique plus large sur la recherche ethnographique.

10 Bourrier, Mathilde. 2017. Conditions d’accès et production de connaissances organisationnelles. Quelles possibilités de produire des connaissances contextualisées sur le fonctionnement du « système de santé global »? Dossier « Aux marges de l’enquête. Retour sur les

matériaux mis au placard ». Revue anthropologie des connaissances, vol 11(4).