En Irak, un paysage médiatique riche et divisé

1. En Irak, un paysage médiatique riche et divisé

En 2010, RSF recense plus de 850 médias (dont 415 journaux et magazines, d’après le Syndicat des journalistes) et environ 500 journalistes officiellement enregistrés auprès du Syndicat. Des groupes

de presse se constituent, notamment le groupe Rûdaw qui semble disposer, au vu de ses programmes et site internet, de moyens importants. L'ONG décrit quatre types de groupes dans son rapport sur la question (2010):

1. Groupes de presse affiliés directement aux partis politiques au pouvoir : le quotidien Khabat du PDK, la chaîne Gali Kurdistan Channel, lancée par l’UPK en 2008

2. Groupes de presse affiliés indirectement aux partis politiques au pouvoir, appelés également médias de l’ombre (shadow media) : les journaux Rudaw et Civil Magazine financés en grande partie par le PDK, et le journal Aso financé par l’UPK

Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes »., page 102.

Abdulkhaliq, « La construction de l’identité nationale kurde dans la presse, au Kurdistan d’Irak, de 1991 à 2010 »., page 23.

Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution »., page 16.

Reporters Sans Frontières, « Entre liberté et exactions, le paradoxe des médias au Kurdistan irakien »., page 8.

3. Groupes de presse affiliés directement aux partis politiques d’opposition : la chaîne satellitaire Speda créé par l’Union islamique en 2008, la chaîne satellitaire KNN lancée par la société Wesha en 2008, l’hebdomadaire Komal de la Jama’a islamiya

4. Groupes de presse qui se disent indépendants : Hawlati, Awene, Lvin et des plus petits comme Standard ou Chatr Press

Abdulkhaliq décrit plus en détail la presse papier kurde irakienne dans sa thèse 118 et, avec eux, les champs politiques dans lesquels ils s'inscrivent. Elle présente quatre journaux qui dominent l’espace public national et qui représentent, selon elle, la situation au Kurdistan irakien.

• Xebat (Lutte) est l’organe du PDK (Pati démocratique du Kurdistan), l’un des deux principaux partis du Kurdistan irakien fondé le 16 août 1946, actuellement dirigé par Massoud Barzani officiellement reconnu par le gouvernement central irakien comme le président de la région du Kurdistan depuis 2005. Ce quotidien de 16 pages est publié à Erbil en dialecte sorani. Il était tiré à 10 000 exemplaires en 2008 selon son rédacteur chef. Tous les frais de publication pris en charge par le PDK et le journal est vendu 3 dinars (40 centimes d’euros) et a un site internet. Sur la Une, on peut lire le slogan suivant : Xebat, quotidien politique et organe du PDK. Abdulkhaliq dénombre, parmi les 73 journalistes, 52 membres du PDK 119 . Ces derniers assument leur rôle de « party media », Hêmin Ahmad, responsable du département politique de Xebat explique ainsi à Abdulkhaliq :

« Nous sommes souvent critiqués par l’opinion publique, et nous ne pouvons pas écrire librement sur la situation des Kurdes qui habitent dans les autres régions et ainsi défendre leur cause; et ceci même quand les frontière du Kurdistan d’Irak sont bombardées par les armées de Turquie ou d’Iran, la moindre critique émise par notre journal peut influencer la situation économique et politique de cette région 120 ».

• Kurdistani nwe (Nouveau Kurdistan) est l’organe de l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) fondé en 1976. Ce parti, l’un des principaux partis, est issu d’une scission du PDK survenue en 1975 après l’accord d’Alger, il est sous la direction de Jalal Talabani (président de l’Irak entre 2005 et 2014). Ce quotidien de 16 pages est lui aussi tiré à 10 000 exemplaires et possède un site internet. L’UPK paye tous les frais de publication de ce quotidien vendu, lui aussi, 3 dinars. On trouve sur la Une des photos des dirigeants du parti et, dans les dernières pages, des publicités. 48 des 70 journalistes sont membres de l’UPK.

• Yekgirtu (Confédération) est l’organe du parti de la Confédération islamique du Kurdistan fondé en 1994. C’est un parti islamiste, proche des Frères musulmans, qui a siégé au Parlement et au gouvernement régional kurde depuis sa fondation. Cet hebdomadaire de 16

Abdulkhaliq, « La construction de l’identité nationale kurde dans la presse, au Kurdistan d’Irak, de 1991 à 2010 ».

Ibid., page 167.

Ibid., page 172.

pages est tiré à 5000 exemplaires. Le parti UIK 121 paye tous les frais de publication dans lequel il n’y a pas d’annonces commerciales ou de publicités. La publication possède également un site internet. 18 des 22 journalistes sont membres de l’UIK. Toujours selon les décomptes d’Abdulkhaliq effectués en 2008, c'est le seul journal sans femmes journalistes. On peut lire en Une : « Respectez l’hebdomadaire car il vous offre les Sourates du Coran » en 2007.

• Hawlati (Concitoyenneté) est le premier journal indépendant, publié par un certain nombre d’écrivains et de journalistes de Souleymanieh à partir de 2000. Il joue un rôle d’opposant au sein du gouvernement régional du Kurdistan, et financièrement il n’est rattaché à aucun parti politique. Il n’appartient à aucune mouvance politique et se considère comme un organe de presse indépendant, qui n’est lié économiquement ni au gouvernement régional, ni aux partis politiques. Ce bihebdomadaire de 20 pages qui contient beaucoup de publicités est vendu 1000 dinars, ce qui est beaucoup plus cher que les autres journaux. Il possède également un site internet et on peut lire en Une : « Journal politique et indépendant ». Abdulkhaliq ne dénombre aucun journaliste membre d'un parti dans la rédaction.

« Dans ses pages sociales et politiques, ce journal a publié des sujets très sensibles, des analyses mettant à jour les causes des problèmes sociaux au Kurdistan, faisant allusion à l’incurie du gouvernement … et s’y attardant ! Le journal assure la couverture des problèmes sociaux et politiques. Passant les fameuses “lignes rouges” de la liberté d’expression, le discours des nouveaux journalistes est strictement organisé autour des thèmes suivants : corruption, religion, sexe, grande figures historiques ou politiques, leaders tribaux, voisins limitrophes du Kurdistan, question de Kirkuk 122 .»

Cette presse se revendiquant indépendante produit un discours critique sur les médias kurdes et, plus généralement, sur le système politique au Kurdistan. C'est en tous cas la teneur du discours du rédacteur en chef interrogé par Abdulkhaliq, Kamal Raof.

« Une évidence s’imposait à nous, à savoir que la publication d’un journal qui critique et même attaque le pouvoir était une nécessité pour la société kurde, pour le mouvement nationaliste kurde et surtout pour le journalisme kurde. (...) Pour parler des problèmes

de société kurdes et des problèmes du Kurdistan en général, les journaux restaient asservis à la cause des partis politiques. (...) Par exemple, pendant la guerre civile, des centaines de personnes avaient été tuées, le Parlement avait été attaqué et pourtant les journaux des différents partis politiques kurdes n’en avaient pas parlé : ils n’ont donc pas exercé leur responsabilité et n’ont pas rempli leur rôle d’informateur. Inversement, il y a par ailleurs énormément de problèmes sociaux, économiques et politiques dont l’information est volontairement ignorée par la presse tout simplement parce qu’elle émane de l’organe d’un parti politique, économiquement libre 123 .»

UIK (Yekgistû Islâmî Kûrdistân en kurde) : Union islamique du Kurdistan, parti islamiste soutenu par l'Arabie Saoudite.

Ibid., page 207-208

Ibid., page 183.