Influence des tensions géopolitiques sur les médias
5. Influence des tensions géopolitiques sur les médias
Au-delà de ces problématiques spécifiques aux régions kurdes, les médias ne peuvent pas se développer librement et rapidement parce qu'ils sont imbriqués dans des conflits géopolitiques complexes et intenses. Ils ne s'ancrent pas dans un système politique officiel puissant, n'incarnent pas la « voix » d'un pays influent. Dès lors, les atteintes à la liberté de la presse sont possibles et peu relayées. Les relations diplomatiques du peuple kurde avec le reste du monde sont aussi très inégales. Si le gouvernement de la région kurde irakienne rencontre régulièrement les dirigeants des grandes puissances, les groupes kurdes de Turquie et de Syrie (le PKK et le PYD) ont du mal à se faire une place. Et si leur message politique n'est pas entendu à l'international, leurs médias ne sont pas non plus pris au sérieux par les journalistes étrangers.
En fait, les Kurdes sont très divisés et viennent s'opposer à des États relativement puissants, leur message est donc fragmenté et peu relayé. Dans le cas spécifique de la Turquie, la guerre civile qui touche le Sud-Est montre que les médias occidentaux s'attachent à décrire les événements de façon
Sheyholislami, Kurdish Identity, Discourse, and New Media., page 92-93.
neutre. Mais la source qui fait autorité en ce qui concerne le nombre de morts est toujours l'armée ou le gouvernement turc. L'AFP cite ainsi de façon quasi systématique ces sources officielles dans les dépêches qui alimentent les médias francophones. Dès lors, les exactions que dénoncent les médias kurdes sont toujours présentées comme un discours politisé, et non un fait. L'agence Firat (ANF) est ainsi qualifiée de « prokurde » par les agenciers et ses chiffres précédés du conditionnel.
Cette posture des journalistes, ici français, vis à vis des médias kurdes dévoile donc aussi une forme
de conformisme. La hiérarchisation des sources d'informations place toujours l'Etat turc avant les instances politiques kurdes. Notamment parce que, justement, le gouvernement turc est « officiel ». Il dispose d'une forme d'autorité dont ne jouit pas, par exemple, le PKK.
Les médias affiliés au gouvernement turc, notamment l'agence de presse officielle Anatolie (Anadolu Ajansi), sont bien plus relayés que leurs confrères kurdes. Et ce malgré le soupçon de « propagande » que les journalistes Allan Kaval et Guillaume Perrier lui apposent. Ce doute sur la partialité de l'agence semble tout aussi fondé que pour l'agence Firat. Mais la portée de ses informations est bien supérieure, ces dernières sont relayées partout dans le monde quand un événement important survient en Turquie.
Si la taille du lectorat et l'influence d'un média sur l'opinion publique dépend de son échelle de diffusion, on comprend bien tout l'intérêt qu'ont les États ou les groupes politique de se saisir de ces canaux. La puissance de cet État ou groupe permet de maîtriser les canaux. Son influence politique lui permet de s'imposer ou non en tant que source d'information qui fait autorité.
Sans renier tout pouvoir des journalistes et toute influence directe de leur travail sur leur lectorat, on remarque qu'à une grande échelle, les médias de masses sont les groupes qui disposent d'un socle d'influence puissant, qu'il soit politique ou économique. Dans le giron de grands groupes financiers ou industriels en Europe ou de grandes instances politiques dans des pays en développement comme la Turquie ou l'Irak, les médias sont dépendants.
Quand ils parviennent à acquérir de l'indépendance, c'est qu'un certain nombre de facteurs sont réunis : société démocratique, riche et en sécurité. Dès lors, les lecteurs disposent de temps et d'argent pour s'informer. En France, ces facteurs sont globalement réunis et quelques rares médias peuvent survivre grâce aux abonnements des lecteurs, notamment Médiapart ou la revue XXI. Ces « modèles » d'indépendance sont possibles dans un contexte politique relativement apaisé. Un contexte qui n'est pas prêt de voir le jour dans les régions kurdes.