L'accusation d'apologie du terrorisme, un outil pour censurer les médias
3. L'accusation d'apologie du terrorisme, un outil pour censurer les médias
L'oppression de certains médias au Kurdistan d'Irak vient principalement de considérations politiques internes et du respect de « lignes rouges » d'autocensure dont nous parlerons plus en détail dans la deuxième partie de ce mémoire. Dans la lignée de la description plus approfondie des menaces subies par les journalistes kurdes de Turquie, il nous semble important de relever que le principal argument judiciaire soulevé par les autorités pour arrêter des journalistes, fermer des journaux ou encore expulser des journalistes étrangers est la notion de « soutien ou apologie du terrorisme ». Cette notion très vague est utilisée quasi quotidiennement au moment où nous écrivons ces lignes pour arrêter des journalistes, pas seulement kurdes. Le célèbre rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet, Can Dündar, a été condamné à cinq années et dix mois de prison pour, entre autres, ce motif. Mais cette accusation est un outil assez ancien pour contrôler le discours médiatique en Turquie.
Avant les négociations Turquie/PKK en 2013, « tout journaliste accordant la parole à des représentants du PKK, même pour les critiquer, était alors accusé de “faire la propagande d’une organisation terroriste“ et menacé d’emprisonnement. Illustrer un article par une photo de membres du PKK ou évoquer l’organisation sans la qualifier de “terroriste séparatiste“ déclenchait aussitôt des poursuites. Jusqu’à une décision de la Cour suprême de mai 2012, désigner le chef du PKK comme “M. Öcalan“ était considéré comme une marque de respect équivalant à “faire l’apologie d’un criminel“, délit passible de trois ans d’emprisonnement. Photographes et cameramen avaient toutes les peines du monde à rendre compte de manifestations, funérailles ou autres rassemblements prokurdes en écartant les images de drapeaux, portraits, ou même vêtements aux couleurs nationales kurdes, qui pouvaient être assimilées à de la “propagande“. Leur présence à ce type d’événements pouvait de toutes façons suffire à
80 Ibid., page 18. 81 Ibid., page 18. 82 Ibid., page 19.
les inculper pour “appartenance à une organisation terroriste“ 83 .»
L'accusation d'apologie du terrorisme peut aussi viser une publication au sens large :
« De grands médias se retrouvent accusés de collusion avec ceux qui font couler le sang
de policiers et de soldats turcs, et sont de ce fait désignés comme les ennemis de la nation. C’est le cas d’Özgür Gündem et du quotidien Evrensel, qualifiés de “machines criminelles“ par le vice-Premier ministre Bülent Arinç du fait de leur traitement de l’actualité après l’attentat de Suruç. C’est aussi le cas du groupe de presse Dogan, qui rassemble de grands titres nationaux tels que le quotidien Hürriyet, la chaîne CNN Türk ou l’agence de presse DHA. Régulièrement pris à parti par Recep Tayyip Erdogan, il fait désormais l’objet d’une enquête pour “propagande d’une organisation terroriste“, ouverte le 15 septembre. Le parquet reprocherait entre autres à plusieurs titres du groupe Dogan d’avoir flouté le visage d’un combattant du PKK abattu par les forces de sécurité, et de ne pas l’avoir fait pour des soldats turcs tués dans une attaque des rebelles
kurdes 84 .» Selon Adem Uzun, membre du Congrès national du Kurdistan, cette accusation, en plus d'être sans
fondement, est un instrument politique. « Pour la Turquie tout le monde est membre du PKK, toute forme d’opposition c’est le
PKK. C’est comme un outil qui permet de blâmer les gens. Un mot magique. Une opportunité pour attaquer les médias kurdes. »
Il récuse l’accusation et nie que le PKK contrôle les médias prokurdes : « Le financement vient de la publicité et beaucoup de bénévoles travaillent pour ces médias. Le PKK n’a pas le pouvoir de contrôler les médias kurdes. » D’autant que, selon lui, « le lien direct avec le PKK n’a jamais été prouvé. » Rappelons que le PKK a été inscrit sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne en 2002 et sur celle des Etats-Unis et du Canada en 1997. A cette époque, Adem Uzun souligne que « le PKK avait cessé les hostilité avec la Turquie dans le cadre du cessez-le-feu qui avait débuté en 1999 ». Il ajoute que l'organisation d'Abdullah Öcalan avait obtenu le retrait de cette liste européenne via la Cour européenne de justice basée au Luxembourg en 2006 selon l'argument qu'il n'avait pas eu l'occasion de se défendre. « Le PKK a été remis sur la liste sur ordre d'un représentant