Les instances fédératrices : syndicats, associations de journalistes et codes de déontologie

5. Les instances fédératrices : syndicats, associations de journalistes et codes de déontologie

Pour fédérer tous ces journaux, des syndicats de journalistes ont été créés en Turquie et en Irak. Si la volonté affichée est de réunir tous les journalistes, ces syndicats sont également divisés politiquement et miment les allégeances politiques des médias que nous venons de décrire.

En Turquie, il existe deux associations de journalistes à Diyarbakir (Amed en kurde), la « capitale »

de la région kurde en Turquie. La première, la GGC, se place plutôt sous l'influence turque puisqu'elle réunit de nombreux correspondants de grands médias turcs travaillant dans la région. La seconde, l'ÖCG, fédère les journalistes réputés proches du mouvement politique kurde. Reporters Sans Frontières dresse leur portrait dans son dernier rapport sur les journalistes kurdes en Turquie 128 :

– « La GGC (Güneydogu Gazeteciler Cemiyeti, association des journalistes du sud-est) a été fondée en 1977 et se présente comme indépendante de toute force politique. Elle revendique 240 membres à travers 11 régions du Sud-Est anatolien, dont de nombreux correspondants

de la presse grand public nationale ».

– « L’ÖGC (Özgür Gazeteciler Cemiyeti), association des journalistes libres) a été créée en 2013. Les 230 adhérents qu’elle revendique sont répartis entre le Kurdistan turc et syrien (Rojava). Si elle se présente également comme une association indépendante, l’ÖGC ne fait pas mystère de ses affinités avec le mouvement kurde, dont elle reproduit la structure de gouvernance (notamment une direction bicéphale assumée par un homme et une femme). À l’image se sont co-président actuel, Ertus Bozkurt, bon nombre de membres du syndicat sont récemment passés par la case prison. Malgré tout, les deux associations affirment être en contact régulier, unies par la solidarité professionnelle. “Nos relations ne se détériorent pas

Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution ».

facilement” affirme le vice-président de la GGC, Mücahit Ceylan. “On arrive généralement à faire front commun quand il s’agit de défendre les journalistes emprisonnés ou de dénoncer la censure”, renchérit Ertus Bozkurt. »

En Irak, deux syndicats différents coexistaient également jusqu'en 2003, l'un proche du PDK et l'autre de l'UPK. Le lien des journalistes et de leurs médias au politique s'est donc transposé dans l'instance qui les fédère.

« Le Syndicat des journalistes est également une émanation du politique. Pendant plusieurs années, deux syndicats des journalistes coexistent : L’Union des journalistes à Souleymanieh et le Syndicat de la presse à Erbil (créé en 1998). Ce n’est qu’en 2003 que ces deux syndicats fusionnent pour former l’actuel syndicat, dont le siège est à Erbil, et dirigé par Fahrad Awni, ancien dirigeant du Syndicat de la presse d’Erbil 129 .»

Ce syndicat gère avec le Ministère de la culture du Kurdistan irakien les demandes de création de médias. Pour créer un média, il faut donc demander l'autorisation du ministère, payer une licence (au prix relativement bas, par exemple l’équivalent de 607 euros par an pour une chaîne de télévision locale) et, enfin, demander l'autorisation du Syndicat des journalistes. Selon le président du syndicat, ce sésame est quasiment systématiquement accordé 130 .

Le Kurdistan d'Irak est la seule région kurde dotée d'un code de la presse, promulgué en 2007. Ce dernier est relativement court et ses entrées restent très vagues. Ce manque de précision est problématique dans le sens où il permet une interprétation biaisée du texte, notamment en ce qui concerne les délits de presse.

« Le code de la presse actuellement en vigueur au Kurdistan irakien constitue une avancée considérable en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse, dépénalisant notamment les délits de presse. Ce texte ne concerne que la presse écrite, et pas l’ensemble des moyens d’information. Un projet plus global semble être à l’étude actuellement. (...) Même si elles constituent une avancée considérable en termes de liberté de la presse, cette loi contient certaines imperfections. Ainsi, les délits de presse mentionnés à l’article 9 du chapitre V de la loi ne sont pas clairement définis. L’utilisation de termes vagues laisse une place importante à la subjectivité et à l’arbitraire. Par ailleurs, les journalistes soulignent que le montant des amendes prévu par la loi est exorbitant en comparaison du revenu moyen d’un journaliste. (...) Ils dénoncent le fait que son application (de la loi) dépend du bon vouloir des juges, soulignant le manque d’indépendance de la justice. (...) D’après Asos Hardi, président du comité directeur du journal Awene, si certains juges sont indépendants, d’autres sont clairement appointés par les partis politiques, citant l’exemple d’une plainte déposée contre lui alors qu’il était rédacteur en chef d’Hawlati 131 .»

Cette description sommaire des médias présents dans les différentes régions kurdes permet, dans les grandes lignes, de mettre en évidence leur lien très fort avec les organisations politiques. Dès lors,

Reporters Sans Frontières, « Entre liberté et exactions, le paradoxe des médias au Kurdistan irakien »., page 5.

Ibid., page 7.

Ibid., page 10.

le destin des médias kurdes semblent imbriqué avec celui des mouvements politiques dont ils dépendent. Un phénomène largement étudié par Abdulkhaliq dans sa thèse et qu'elle résume de la façon suivante :

« Toute évolution dans la situation politique de l’Irak influençait le discours de la presse écrite. Notons que les principaux journaux kurdes dans cette région sont loin de la neutralité qui consisterait à rapporter tout simplement des faits : bien au contraire la presse reconstruit aussi les événements à travers son prisme idéologique. Malgré un Parlement et un gouvernement nouvellement créés, ce sont les partis politiques qui ont un rôle fondamental dans les progrès journalistiques. Les journaux les plus importants qui eurent le plus d’influence sur l’opinion publique ont toujours été publiés par les partis politiques. En cela, la presse soutient le processus identitaire kurde calqué sur le programme des partis 132 .»