Ce manque de confiance engendre une forme d'hégémonie des agences occidentales dans la couverture des régions kurdes

2. Ce manque de confiance engendre une forme d'hégémonie des agences occidentales dans la couverture des régions kurdes

Globalement, ce qui ressort de ces entretiens est un manque presque complet de confiance des journalistes du Monde vis à vis de la presse locale qui a pourtant accès, comme le note Guillaume Perrier, aux « terrains difficiles d’accès ». Les seuls médias qui recevront de leur part la note maximale (5), sont les grandes agences de presse comme l’AFP ou Reuters. Agences que Guillaume

Voir annexe page 91

« Rûdaw Media Network, future BBC kurde ? », InaGlobal, 19 novembre 2013, http://www.inaglobal.fr/presse/article/rudaw-media-network-future-bbc-kurde-7958.

Perrier refuse de noter tellement la question ne se pose pas. Nous verrons ultérieurement que ce point de vue ne fait pas l'unanimité, notamment chez les journalistes kurdes.

Force est donc de constater que les journalistes interrogés cultivent, dans leur rapport aux sources médiatiques (il n’est pas ici question des sources directes auxquelles Guillaume Perrier attache la prime importance), une forme d’entre soi.

Allan Kaval cite d’autres sources, plus confidentielles, comme une revue en ligne irakienne, une publication spécialisée sur le pétrole et un universitaire spécialiste du Kurdistan qui fait une revue

de presse fournie sur Twitter.

Reste que quand leur est posée la question des sources qu’ils utilisent le plus pour couvrir les événements de la région, pas une fois ne sont cités les médias locaux. Guillaume Perrier l’explique ainsi : « Les médias de pays où la liberté de la presse n'existe pas ne sont évidemment pas significatifs. Médias russes, turcs, irakiens, iraniens, etc... A lire comme de la propagande, ce qui peut avoir son intérêt. »

Sans le formuler explicitement de cette manière, les deux journalistes français reprochent aux médias kurdes de faire de la propagande inavouée. Cette notion, expliquée par Grevisse dans Déontologie du journalisme 136 , renvoie à la l'usage de « procédés de propagande et de persuasion sous couvert d'un compte rendu objectif ». « La propagande inavouée trouve son origine dans un engagement idéologique du journaliste qui le conduirait à confondre son rôle de journaliste avec celui de militant 137 ». En somme, Kaval et Perrier reprochent à la plupart des journalistes kurdes de déguiser sous des formes journalistiques un discours militant et engagé qui relève de la propagande. Ils dénoncent donc une forme de tromperie et de la malhonnêteté intellectuelle.

Dès lors, leur travail sur les régions kurdes repose sur des entretiens directs et la consultation de sources. Les médias kurdes ne deviennent que le reflet des positions de leurs dirigeants politiques, que ce soient le PKK, le PDK ou l'UPK, les trois forces politiques les plus puissantes de la région. Les articles de presse, émissions de télévision et dépêches d'agence se transforment à leurs yeux en communiqués. Ils les traitent donc en tant que tels, non en tant que sources d'informations.

Pour les correspondants étrangers, le problème semble récurrent. La difficulté de trouver des informations à la fois objectives et complètes dans la presse kurde irakienne est confirmée par Judit Neurink, correspondante en Irak pour plusieurs médias belges et néerlandais et directrice de l'ONG

Benoît Grevisse, Déontologie du journalisme, enjeux éthiques et identités professionnelles, Info Com (Bruxelles: De Boeck, 2010), pages 221-222.

Ibid., page 221.

Independent Kurdistan Media Center : « Ici, plus que n’importe où, on a besoin de lire trois journaux pour avoir un point de vue d’ensemble sur un seul et même sujet 138 ».

Face à ces reproches, les journalistes kurdes convoquent un argument simple : il est impossible de pratiquer le journalisme à l'occidentale dans le contexte politique des régions kurdes. Nous le verrons dans la partie suivante.

Conclusion :

Les médias kurdes sont très politisés, peu ou pas indépendants et dépendent financièrement des dirigeants politiques. Ils mettent tous en avant la culture traditionnelle kurde mais sont en désaccord sur presque tout le reste, justement parce qu'ils s’inscrivent dans le spectre idéologique de partis qui s'opposent. Il serait aisé de s'arrêter là et d'avancer que les médias kurdes ne pourront devenir « sérieux » et « fiables » que lorsqu'ils se seront libérés du politique. Cette approche nous a semblé incomplète parce qu'elle n'inclue pas la vision des journalistes kurdes sur leur propre métier, ni les critiques récentes formulées à l'encontre du « modèle » journalistique européen.

Reporters Sans Frontières, « Entre liberté et exactions, le paradoxe des médias au Kurdistan irakien »., page 8.