La communication politique, une posture majoritaire

3. La communication politique, une posture majoritaire

Le rôle des médias de parti au Kurdistan irakien est tout autre. C'est aussi un journalisme de communication mais dans une forme qui peut nous paraître plus familière. Les médias servent les puissants qui sont au pouvoir et jouissent en retour de privilèges et de moyens techniques conséquents.

Deux « traditions journalistiques » existent donc dans les régions kurdes. Ni l'une ni l'autre n'incarnent un « modèle » en termes d'objectivité ou de déontologie. Mais ces critères ont été couchés sur le papier depuis les pays riches, dans un climat politique et sécuritaire relativement apaisé. Ils s'appliquent en temps de paix, quand le jeu démocratique peut s'exercer relativement sereinement. Ce contexte n'existe pas et n'a jamais existé dans les régions kurdes. Nous l'avons vu au tout début de ce mémoire, l'histoire des Kurdes se structure autour de conflits séparatistes puis autonomistes. La violence et la résistance sont donc ancrées dans la culture kurde et incarnent parfois son identité, surtout dans la vision qu'en ont les médias étrangers. Les Kurdes sont régulièrement associés à l'image du guérillero néo-marxiste, alors que la population kurde est essentiellement composée d'agriculteurs et d'éleveurs pauvres et conservateurs.

Cette distorsion entre la réalité du terrain et le discours médiatique est véhiculée par les médias étrangers, certes, mais aussi par les médias kurdes de Turquie qui cherchent à valoriser les combattants et l'idéologie du PKK.

En cela, ils tentent de construire une société civile et une identité kurde. Ils mettent en valeur des héros et martyrs de la guerre contre la Turquie ou l'Organisation État islamique, qui sont d'ailleurs souvent présentés comme complices. Ce rôle d'unificateur des multiples identités kurdes est revendiqué par les médias et de nombreux chercheurs spécialistes de la question. En revanche, ce processus est assez tardif et correspond à une période récente de l'histoire kurde, notamment depuis la démocratisation (toute relative) de la télévision satellitaire et, plus récemment, d'internet. Cette massification tardive des médias kurdes s'explique, selon Sheyholislami, par une série de facteurs politiques :

« La presse a joué le rôle d'instigateur des premiers États-nations modernes en Europe et en Amérique (Anderson, 1991). Cependant, dans le cas du Kurdistan, à cause de nombreux obstacles, la presse kurde n'a pas été le média de masse capable de « La presse a joué le rôle d'instigateur des premiers États-nations modernes en Europe et en Amérique (Anderson, 1991). Cependant, dans le cas du Kurdistan, à cause de nombreux obstacles, la presse kurde n'a pas été le média de masse capable de

de publications ces vingt dernières années. La presse kurde a rencontré de grandes difficultés depuis son origine. L'état de la presse kurde à la fin des années 1980 peut être résumé de la façon suivante :

“ La presse kurde est caractérisée par l'absence de quotidiens pérennes, une faible circulation, des moyens de distribution précaires, une dépendance à l'abonnement et à la vente au numéro, une pénurie de papier journal et un professionnalisme et une spécialisation limitées. Ces traits sont caractéristiques des médias des pays en développement... malgré leur persistance, leur impact négatif sur la presse a été renforcé par la division linguistique de la communauté kurde et les restrictions politiques de l'usage de cette langue“. (Hassanpour, 1992 173 )» 174

Le rôle très récent d'internet dans la construction de l'identité kurde, et plus particulièrement de la data mobile, est mis en exergue par Allan Kaval, très habitué du terrain et du contact avec les populations kurdes. Il raconte voir les Kurdes scruter leurs smartphones en permanence et s'informer essentiellement via cet outil. Mais, selon lui, cet accès permanent à internet n'est pas le signe d'une ouverture au monde. Plutôt d'un renforcement des idéologies déjà prégnantes.

« Les Kurdes, en permanence, sont sur leur smartphones, c'est la première si ce n’est la seule source d’information. Ils suivent des comptes de médias et des partages de vidéos. Il y a une certaine culture de l’information, des rumeurs et des choses pas forcement vérifiées vont être considérées comme vraies. Les gens vont lire les informations proches de leur sensibilité politique. C'est donc une culture de l'information bornée par une idéologie. Ce comportement conforte la fragmentation idéologique, les gens s’enferment dans leur communauté. L'utilisation des réseaux sociaux rend donc l’émergence d’un media kurde neutre difficile 175 .»

Affirmer son identité kurde sur internet est aujourd'hui possible et est l'objet de fierté pour beaucoup d'internautes. Le hashtag #TwitterKurds sur Twitter concentre des centaines de messages toutes les heures de Kurdes de tous horizons. C'est d'ailleurs l'endroit de nombreuses disputes entre Kurdes pro-PKK et pro-Barzani. Internet et la présence des médias sur cette plateforme permettent donc de faire entendre la voix des différents groupes politique à une échelle internationale, mais aussi de perpétrer les divisions internes. Loin de permettre, par le dialogue soudain rendu facile, l'unité de tous les Kurdes, il permet à tous d'exprimer des opinions politiques parfois tranchées et de partager des informations – ou rumeurs – qu'ils jugent essentielles. Et les médias dits traditionnels, bien que très jeunes, tentent de suivre la tendance et d'accroitre leur présence sur ces réseaux. Ceux qui n'ont pas les moyens financiers de Rûdaw pour créer des contenus attractifs comme des vidéos peuvent compter sur une base militante très active et polyglotte. Ceux-ci se chargent de relayer l'information massivement et d'interpeller les médias occidentaux. C'est notamment le cas, dans l'univers francophone, de comptes comme Info Rojava-Kurdistan (@info_Rojava) ou celui de Bahar Kimyongur (@Kimyongur) et, en anglais, Dr Partizan (@DrPartizan_) et Pepperman

Hassanpour, « The creation of Kurdish media culture »., page 276.

Sheyholislami, Kurdish Identity, Discourse, and New Media., page 92.

Entretien avec Allan Kaval, annexe page 91

(@pepperman4ever).