Un journalisme engagé mais « honnête », une posture adoptée par certains

2. Un journalisme engagé mais « honnête », une posture adoptée par certains

L'honnêteté journalistique préfère dire clairement que le lecteur ne trouvera pas la vérité pure ou une objectivité parfaite dans les colonnes des journaux ou ailleurs. Mais le média sera alors franc sur son prisme politique ou idéologique, il le mettra en avant et fera savoir « d'où il parle ».

Cette posture qui se veut « honnête » plutôt que « neutre » est celle privilégiée par Maxime Azadi, fondateur de l'agence Firat et journaliste chez Med Nuçe. Elle s'inspire également beaucoup de la conception marxiste des médias comme nous l'avons vu précédemment.

Le Monde diplomatique, « Editions internationales du Monde diplomatique », Le Monde diplomatique, consulté le

10 juin 2016, http://www.monde-diplomatique.fr/diplo/int/.

« La fiabilité de l'information requiert avant tout de mettre de la distance avec le pouvoir et le patronat. Les intérêts de ces derniers convergent dans presque toutes les conditions. Il faut aussi de l'expérience contre toutes les manipulations des gouvernements, des services secrets et des groupes financiers qui impliquent notamment les médias à des fins politiques. Il faut aussi avoir un certain sens de l'opposition pour pouvoir résister contre les interdictions, les manipulations et l'oppression. A mon avis, avoir une conscience est important dans tous les domaines afin de pouvoir montrer la réalité sur place et dénoncer les exactions des oppresseurs... Il faut admettre que, lorsque l'atmosphère politique d'un pays change, certains critères du journalisme changent également. Les médias sont parfois n'ont pas d'autre choix que de résister aux régimes répressifs ou de prendre une position claire dans l'opposition. Car ce genre de régime demande une soumission totale : tu es soit avec lui, soit contre lui. Donc on ne peut plus chercher de l'objectivisme et de l'impartialité. Il est clair que les médias d'un peuple, d'une minorité ou d'un groupe en guerre ou opprimés doivent prendre position contre les régimes répressifs. Les médias ont aussi une telle responsabilité. Donc, pour être fiable, il faut savoir mettre une distance avec le pouvoir, l'argent et tous ceux qui peuvent influer sur les médias. Il faut aussi de l'expérience, de la conscience et avoir un sens de l'opposition démocratique. Enfin il faut toujours être plus près des événements pour avoir des informations plus proches de la réalité sur place. Il faut toujours se méfier des déclarations officielles. »

Cette posture politique formulée par Azadi révèle une logique d'insoumission et de contestation. Ce discours, plus critique, est difficile à ancrer dans la normalité et les médias « mainstream ». En fait, une différence fondamentale entre les médias kurdes du pouvoir que sont, entre autres, Rûdaw et les médias kurdes d'opposition voire révolutionnaires comme Med Nuçe est le but qu'ils affichent. Les premiers veulent devenir des médias mainstream à l'européenne, une « BBC kurde » comme titrait le site INA Global 172 . Les seconds veulent rester révolutionnaires, ils ont un but politique à atteindre et restent donc dans une logique d'opposition. Ils formulent aussi de vives critiques à l'encontre des médias traditionnels ou mainstream : collusion avec le pouvoir et soumission aux intérêts financiers. La part de responsabilité morale et d'engagement des journalistes kurdes de la deuxième école est très importante : tous semblent dédier leur vie à leur métier et tout sacrifier pour lui. Maxime Azadi et Gulê Algunerhan racontent travailler d'arrache-pied, se levant très tôt et se couchant très tard. Maxime Azadi raconte même écrire souvent une quarantaine d'articles et brèves par jour. Pour eux, être journaliste n'est pas un métier, c'est un devoir moral et politique à l'encontre du peuple kurde qu'ils disent défendre. Dès lors, il est très difficile d'appréhender cette posture journalistique dans le prisme médiatique européen. Il nous est seulement possible de l'expliquer par une série de facteurs : contexte conflictuel, forte influence des organes politiques sur les médias, oppression de l'État turc sur eux et guerre politique au sein du paysage médiatique turc. Difficile aussi de comprendre si cette démarche relève du journalisme ou de la communication, de sortir d'une forme de la « langue de bois » produire de chaque côté. Reste que les médias kurdes de Turquie produisent de l'information, des images qu'ils sont les seuls à relayer. Au moment où nous écrivons ces lignes, la guerre civile

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